Le film de monstre, longtemps cantonné à la place de sous genre des films d’horreur et d’aventure, a désormais acquis ses lettres de noblesse. Si la figure de la monstruosité est si universelle c’est qu’elle est multiple et protéiforme. Il s’agit ici d’explorer nos peurs et de les interpeller sous tous les angles possibles : individuelles et biologique mais aussi culturelle et sociologique. 

Les valeurs et l’appréciation du monde, en effet, changent suivant les cultures. Celles ci définit alors en partie nos coutumes, nos croyances mais aussi nos craintes. Les choix quant à la représentation du monstre, ce qu’il représente ainsi que sa relation avec le reste du monde peuvent ainsi varier de manière significative à mesure que l’on se déplace de méridien en parallèle. Chaque cinématographie reprend alors à sa sauce le film de monstre et en fait l’un des ambassadeurs les plus frappants de sa culture. 

Japon : Godzilla, Ishiro Honda (1954)

Le tout premier opus de Godzilla fera date. Très gros succès commercial avec notamment 9 millions de spectateurs uniquement au Japon, il démocratisera le genre désormais incontournable du kaiju eiga (litt. “films de monstres”). Celui ci lié principalement au cinéma japonais désigne les films d’ “attaque de monstres géants”. Si il existait avant Godzilla, il n’est aucun doute sur l’impact de la créature sur la célébrité du genre. 

Cette dernière, d’ailleurs, est d’origine atomique by the way. Détail ? Oh que non ! Le pays à cette époque se remet difficilement de la WW2 et surtout du traumatisme que lui ont causé les deux bombes nucléaires lancées sur Hiroshima (6 août 1945) et Nagasaki (9 août 1945) . Godzilla c’est la bombe atomique, c’est le traumatisme qui piétine le territoire japonais. 

Le lien avec le réveil d’une telle créature par l’entremise de l’activité humaine n’est pas sans traduire également le lien fort que nourrissent le pays du soleil levant et la nature. De tradition animiste et shintoïste, le Japon observe un très grand respect pour la nature et ses forces indomptables. Cette sensibilité écologiste se retrouve dans un très grand nombre de films japonais et notamment de manière plus directe et militante dans le très (très) beau Princesse Mononoké du maître Hayao Miyazaki (2000). 


USA : Elephant man, David Lynch (1980)

L’une des premières apparitions de Mr. David Lynch sur nos écrans cristallise ce qui fera “sa patte”. Un regard incisif et sans fard, un goût pour le switch temporel et dimensionnel fréquent, des sujets d’études non édulcorés et de la fumée, beaucoup de fumée. Inspiré de la vie de Joseph Merrick, il est une ode à la différence et à l’ouverture d’esgourdes. 

Joseph Merrick, en effet, fut une réelle célébrité du temps des freak show et autres zoos humains. Sa particularité physique l’éloigne alors du genre humain pour en faire un hybride, une chose, un monstre. Il n’est ni tout à fait différent mais ni tout à fait pareil. A l’époque du développement des sciences et de la méchanique, des grandes explorations et des voyages d’agréments du gotha, la notion de l’altérité intrigue. 

Les Etats-Unis, notamment, ont un rapport assez complexe avec la monstruosité. Le pays, rappelons le, s’est construit sur des vagues de migrations successives. Les européens découvre d’abord les amérindiens qu’ils voient comme des sauvages. C’est ensuite au tour des esclaves mais aussi des millions d’italiens, asiatiques ou encore russes partis chercher la bonne fortune au pays de l’Oncle Sam. La société se cristallise en pôles culturels et autrui devient étrange. Au sein même de ces pôles se retrouve des individus dont les particularités physiques voire carrément la morphologie brise les conventions de l’apparence humaine. Ce rapport à l’étrange et, surtout, à la violence de cette époque, se retrouve par ailleurs dans le culte Freaks, la monstrueuse parade (Tod Browning, 1932). Le Elephant man de D. Lynch s’en veut par ailleurs un hommage à ce dernier. 


Espagne : L’Esprit de la ruche, Victor Erice (1973)

Une petite fille à l’univers intérieur énormément riche. Une réalité plutôt morose. Un contexte socio-politique pas au beau fixe. Si cela ne vous rappelle rien, j’ajouterai le dernier ingrédient à la potion : une relation de fascination pour une créature entre l’imaginaire et la réalité. Mais oui, nous avons là les éléments du Labyrinthe de Pan (Guillermo del Toro, 2006). Rien d’étonnant à cela lorsque l’on considère que Victor Erice fut avec ce film l’une des inspirations de Guillermo. L’Esprit de la Ruche incarne, en effet, l’un des chefs de file d’une esthétique ibérique souvent nommée “réalisme poétique”. A savoir que l’action prend place dans la réalité mais que celle ci est magnifiée par l’imagination et le regard.

L’Esprit de la ruche, tout comme le Labyrinthe de pan, participe ainsi d’une approche du monde et du monstre plus poétique et surtout dénonciatrice. Les deux films pointent ainsi le franquisme et l’Espagne post-guerre civile ainsi que la question de la différence et le droit au rêve. 

Le monstre est ici une créature aussi attendrissante qu’inquiétante. Une dualité que l’on retrouve, par ailleurs chez l’américain Tim Burton.


Inde : Nagin, Rajkumar Kohli (1976)

L’Inde est le pays de l’extrême, du clinquant… à l’image de ces studios de cinéma : Bollywood. C’est tout un symbole qui rayonne à travers ces quelques syllabes. Les studios sont désormais aussi mythiques que le Taj Mahal et exportent la culture indienne jusqu’au bout de monde. 

Terre de légende et de mix culturel, c’est la mythologie hindoue, bouddhiste ou encore musulmane qui se mélangent et cohabitent. Une source inépuisable de monstres, dieux et créatures en tous genres à mixer ou à servir directement.