“En faisant ce film, je voulais rappeler des choses qui ont fait mes films mais aussi les remettre au présent” .
Le 29 mars 2019, Agnès Varda s’éteint à Paris. Une vague d’émotion soulève le monde culturel. L’ouverture du festival de Cannes 2019 sera d’ailleurs l’occasion de lui rendre un hommage en grande pompe avec le discours d’Edouard Baer et le (très beau) “Sans toi”, tiré de la BO de Cléo de 5 à 7 (1962) interprété par Angèle.
Agnès Varda c’était une artiste prolifiquement curieuse. Agnès Varda c’était une figure de la Nouvelle Vague française. L’une des seules féminines d’ailleurs.
Agnès Varda c’était avant tout Agnès. Accessible. Indubitablement moderne. Libre.
Son dernier film, Varda par Agnès (2019), fut disponible sur Youtube via la chaîne Arte cinéma suite à sa disparition. Autoportrait en forme de travelling documentaire discontinu, Agnès explore la Mémoire(s) de Varda comme une dernière masterclass.
L’influence de la nouvelle vague
Agnès commence sa carrière en tant que photographe avant de se lancer dans le cinéma un peu comme ça, au hasard de sa curiosité. Elle réalise alors son premier long métrage, en 1955, La pointe courte et, déjà, les traits de son style bien à elle se font sentir.
L’influence de son époque tout d’abord. Il s’agit, en effet, des débuts de la période “hippy” et surtout, surtout, de la Nouvelle Vague. Période mouvementée s’il en est.
Elle fut la femme de Jacques Demy et amie de Godard et Jim Morrison. Son oeuvre tant cinématographique que plastique et photographique est imprégnée de ces influences et de ce rapport au monde si caractéristique.
Varda par Agnès ne fait pas exception. On retrouve la très grande importance accordée au montage mais aussi à la couleur, à la musique et la diction. Le film n’est plus seulement un conte narratif, mime d’une quelconque réalité. C’est une oeuvre complète tant au niveau de sa narration que de son identité visuelle ou musicale.
Elle teste. Elle invente. Elle s’amuse avec la caméra et le spectateur comme, par exemple, avec son “fondu à la couleur” (parce qu’après tout pourquoi n’aurions nous que des “fondus au noir” ?)
Exploratrice du regard
Agnès Varda est avant tout une très très bonne documentariste. Le mouvement des Blacks Panthers, le combat pour l’avortement ou encore la Guerre du Vietnam (1955-1975) sont passés devant son objectif.
Elle filmera néanmoins en priorité ce qui se trouve près d’elle. Le quotidien, les gens et les lieux qu’elle connaît. Elle recherche principalement ceux qu’elle appelle “les vrais gens”. Ces personnes, ces lieux et ces situations de tous les jours qui lorsque l’on y accorde un regard révèlent tant. C’est ainsi le regard que nous portons aux choses du monde qui interroge Agnès.
Ce n’est donc pas un documentaire au sujet d’elle même que nous livre la réalisatrice. Il s’agit là, en effet, beaucoup plus d’une balade, au gré de sa mémoire, certes, mais également de ses idées. C’est une réelle causerie entre Agnès et l’objectif, son vieil ami, support d’un regard magnifié.
Le regard ne devient cependant oeuvre qu’une fois réfléchi et travaillé. Notre inconscient est ainsi le filtre premier ; au cinéma, c’est le montage.
“Je signe tout mes montages.(…) C’est la vraie écriture au cinéma”, déclare Agnès à Léa Salamé pour l’émission Stupéfiant ! Fidèle à ses premiers amours cinématographiques, elle use et s’amuse du montage pour créer le discours mais aussi et surtout l’émotion souhaitée. Le montage devient ainsi le principe de notre imaginaire qui se superpose à l’image perçue par la caméra ou l’oeil. La causerie/mémoires de Varda par Agnès ne déroge pas à la règle et nous propose une pérégrination aux côtés de ce et ceux qui l’ont inspiré.
Paysage mental
Varda par Agnès trouve ainsi sa place au sein de son oeuvre complète en ce qu’il regroupe ses inspirations mais aussi ses réflexions et confessions. C’est un véritable journal intime artistique qu’elle nous dévoile. Il est à remarquer, par ailleurs que Varda aime à distiller des bribes d’Agnès au sein de ses productions en général, à divers degrés.
Les deux causeries, ici, revêtent cependant un caractère plus intime. Agnès revient sur ce qui a fait Varda. Dates, lieux, personnes, réflexions, tout est présent dans ce carnet de croquis qui se transforme au fil de la timeline en un carnet de voyage coloré et bien rempli.
“Si on ouvre les gens, on trouverait des paysages. Si on m’ouvrait, on trouverait des plages”, s’amuse Agnès, dans sa chaise de direction, face à la mer.
Une sociologie de l’imaginaire
Varda par Agnès c’est donc une entrée dans la réflexion de Varda presque comme une masterclass. Le déroulement et les choix autour du film viennent ainsi illustrer les confessions contées et rythment la balade.
Cette réflexion autour du cinématographe mais encore plus autour de l’art et du regard font de son oeuvre entière un recueil ludique et presque sociologique.
La question de l’image, notamment, est au centre du discours et permet ainsi d’appuyer le rapport entre image et imaginaire. Elle interroge ainsi tant ce que l’on voit que notre perception du réel et surtout sa hiérarchisation.
Pourquoi prête t on plus attention à certaines choses ?
Qu’est ce qui fait que je ressente cela à la vue de ceci ?
Pourquoi cela est il comme cela ? Ne pourrait il pas être comme ceci ?
Elle insiste principalement et surtout sur “(l’importance) de filmer des choses que l’on ne comprend pas. Parce que même au cinéma, c’est important de sentir, d’éprouver”.
Il est très compliqué d’écrire à propos d’Agnès Varda, autant l’oeuvre que le personnage. Outre l’émotion de son décès, encore trop récent, Agnès c’est une oeuvre plutôt conséquente. Elle fut prolifique autant en quantité qu’en qualité. Son travail fut comme sa vie divers et ludique. Il est surtout accessible et ouvert à la réflexion face à notre perception individuelle. Celle ci en retire alors ce qui lui plaira comme un miroir. Un journal intime collectif et pour tous.
“C’est comme cela que je finis cette causerie. Je disparais dans le flou. Je vous quitte.”
Voilà. Agnès a finit sa causerie. Elle s’enfonce dans la brume. Elle part vers on ne sait où. C’est fini.