Elle est une sorcière.

Privée de corps, elle ère, elle investit ton âme.

Elle ne repart jamais sans rien. 

C’est ainsi qu’Emma Larsimon présente Marianne, entité dont elle faisait des cauchemars réguliers à l’adolescence et qui est devenue sa source d’inspiration pour une saga de best-sellers d’horreur pour jeunes adultes. Auteure à succès, antipathique et torturée, Emma décide de mettre un terme aux mésaventures de son héroïne fictive Lizzy Lark combattant la diabolique Marianne et c’est en pleine promotion du tome final qu’on la découvre. Mais la séance de dédicace vire au glauque lorsqu’une amie d’enfance surgit pour lui dire que ses histoires terrifiantes deviennent réelles, et que Marianne n’est pas imaginaire. Si elle commence par renier ces aberrations, une suite d’évènements force Emma à retourner dans son village natal pour y affronter ses démons, autant au sens littéral que figuré. Sortie le Vendredi 13 Septembre 2019, Marianne est donc la nouvelle série d’épouvante de Netflix.

Pourquoi, parmi le très vaste catalogue de la plateforme de streaming, faudrait-il s’arrêter sur cette série ?

Made in France

Tout d’abord, parce que cette série est française. Malheureusement, ce premier argument pourrait en faire fuir certains (peut-on réellement leur en vouloir ?). C’est Samuel Bodin, déjà showrunner de deux séries pour OCS (T.A.N.K. et Lazy Company) qui a réalisé les huit épisodes et les a co-écrit avec le scénariste Quoc Dang Tran. À l’image de son personnage principal Emma, il a sorti la sorcière Marianne de ses cauchemars et gardé l’idée dans un tiroir en attendant un jour l’opportunité de faire un film ou une série d’horreur. Lorsque les producteurs de Netflix ont exprimé leur envie de lire ce type de scénarios, il a sans plus attendre envoyé une petite dizaine de pages racontant son histoire. D’abord refusé puis repêché, le projet Marianne a finalement vu le jour, devenant l’une des rare des séries de genre française actuelle.

* Petite définition : en cinéma et télévision, on parle de genre pour évoquer des films et séries rattachés à un style cinématographique précis tels que les films/séries de science fiction, de guerre, d’action et bien entendu d’horreur avec toutes les sous-catégories que cela implique. 

Il est certain qu’avec les productions Netflix comme Marseille ou Family Business qui ont suscité des réactions très mitigées, ou notre bonne vieille Plus Belle La Vie, on a tendance à vouloir ranger toute série française en bas de notre liste des choses à voir. Mais ici on parle bien d’un style qu’on rencontre peu chez nous, et cela a de quoi interpeller.

Et puis, petite fierté pour les bretons parmi nous : la majorité de l’action se déroule dans notre bonne vieille Bretagne, dans la bourgade fictive d’Elden. Et, bien que ce lieu soit effectivement imaginaire, le tournage s’est réellement passé dans le Finistère et les Côtes-d’Armor (à l’exception de quelques scènes tournées en Ile-de-France).

Le père Xavier, joué par Patrick d’Assumçao, et son chien sur le port d’Eden

La saison de l’épouvante

Marianne n’est pas seulement française, elle est aussi horrifique. Comme dit plus tôt, c’est une série de genre, appartenant à la grande famille qu’est le registre de l’horreur. Parmi ses innombrables catégories et sous-catégories, on pourrait classer Marianne dans la branche de l’épouvante, c’est-à-dire que la tension naît d’une ambiance angoissante et malsaine, remuant nos peurs profondes plutôt que de miser sur le gore comme les slashers. Avec l’épouvante, vient la notion de surnaturel qui est, bien entendu, omniprésente dans cette série qui parle de sorcellerie et de démons.

Même si c’est une émotion universelle, la peur n’est pas ressentie de la même façon d’un individu à l’autre, donc il est impossible d’affirmer avec certitude que Marianne vous glacera les os. Cependant, les codes de l’horreur comme les portes qui grincent, les murmures dans la pénombre, les silhouettes plus ou moins visibles, toutes ces énormes ficelles que l’on a vu cent fois sont ici redoutablement bien gérées. Samuel Bodin a réussi l’exercice difficile d’appliquer les règles classiques sans faire un copié-collé de déjà-vus ennuyeux. Les premiers épisodes bénéficient par ailleurs d’un véritable atout : l’actrice Mireille Herbstmeyer qui incarne une vieille femme possédée par Marianne. Sa prestation est remarquable, parfois à un cheveux de tomber dans l’excès mais ne franchissant jamais la limite. L’avantage c’est qu’on n’en fait pas d’overdose : sans trop entrer dans les détails, Marianne change d’hôte dans la série et permet un renouvellement. Ainsi, le réalisateur se détache de cet élément phare, un choix courageux lorsqu’on sait que l’angoisse du premier arc repose entièrement sur le jeu flippant de Mireille Herbstmeyer. L’audace fait justement partie des qualités de cette série. S’il existe bel et bien un fil rouge entre les huit épisodes, la mise-en-scène n’est pas identique du début à la fin. On a des scènes d’humour voire loufoques avec l’inspecteur incarné par Albin Lenoir (Kamelott), un épisode qui se passe pendant l’adolescence d’Emma avec une vibe très Stranger Things, des séquences au rythme lent permettant à la tension de traîner douloureusement et d’autres faites d’affrontements et de cascades. La diversité des tons peut ainsi donner l’impression que la série s’éparpille, mais les intentions de Samuel Bodin étaient justement de tenter des choses et d’alterner les ambiances.

Dans ces tentatives, il y a évidemment des faiblesses. Les effets spéciaux et la mise en scène sont parfois maladroits, et le jeu est, pour certains acteurs hésitants au départ. On sent qu’on cherche à trouver ses marques dans ce registre original si rarement proposé en France. Heureusement, la série trouve rapidement ses repères et on a le droit à des scènes très bien réalisées et interprétées avec justesse.

Emma Larsimmon, interprétée par Victoire Du Bois

Une touche de féminisme et un peu d’émotion

Enfin, les dernières bonnes raisons de regarder Marianne, c’est son casting féminins. Ce détail a forcément été remarqué et abordé en interview — oui, en 2019 on est encore obligé de demander à quelqu’un pourquoi il y a plus de femmes que d’hommes dans ses personnages principaux… mais passons ! —, et Samuel Bodin a tout simplement répondu qu’il avait eu envie d’écrire une « histoire de femmes ».

Ainsi, l’héroïne féminine affronte une antagoniste féminine, et compte dans ses acolytes son assistante personnelle, son amie d’enfance et sa mère. Il y a des hommes bien entendu dans cette série, mais ce ne sont pas eux qui mènent la danse. Le créateur de Marianne voulait créer des personnages indépendants et forts qui se battent avant tout pour elles-mêmes plutôt que d’être des épouses ou des mères, bref les seconds rôles que l’on donne encore trop souvent aux femmes. Et puis on appréciera le caractère singulier d’Emma : antipathique, moqueuse, insolente, parfois méchante et égoïste, arrogante et alcoolo. En face d’elle, une sorcière cruelle qui investit le corps des gens et les ronge de l’intérieur, capable des pires atrocités. On a donc un duo qui est bien loin des clichés dont on affuble les femmes dans les oeuvres de fiction. Au penchant par conséquent féministe de cette série (sans que cela soit un thème abordé directement dans la narration), on peut aussi noter que ce n’est pas une simple histoire de démons qui fait “bouh” dans le noir. En racontant les aventures d’Emma Larsimon, Samuel Bodin a voulu parler du pardon. En effet, sans expliquer le pourquoi du comment que vous irez découvrir en regardant la série, Emma a coupé les ponts avec ses amis d’enfance et ses parents. La rédemption est la quête inconsciente de la jeune femme en revenant à Elden. De plus, nous abordons ici les destins entremêlés de deux femmes qui ne trouvent pas leur place : que ça soit Emma qui est une éternelle adolescente en rébellion rongée par ses regrets ou Marianne qui n’appartient ni au monde des humains et des vivants, ni à celui des démons et des morts. Ces thématiques permettent alors à Marianne de ne pas être une suite de jumpscares avec un scénario creux, mais une véritable histoire avec du relief.

Marianne: Trick or treat ?

À sa sortie, nombreux sont les médias français qui ont descendu la série. À l’inverse, elle a rencontré un accueil chaleureux à l’international : on ne manquera pas de mentionner que Stephen King, alias le maître de l’horreur, l’a encensée. Pourquoi cette division ? Mon humble avis serait que nous ne sommes pas habitués à voir de l’épouvante à la française, car même si le style de Marianne emprunte énormément aux classiques anglo-saxons, cela reste nos paysages, notre langue et notre french touch qui est à l’écran.

De plus, le genre et plus particulièrement l’horreur ne sont pas des plus populaires chez nous. Cependant, la liberté d’expression entraîne heureusement la diversité d’opinions et certains médias ont salué son audace. Nous vivons une époque où le genre revient sur le devant de la scène et connaît un renouveau : le cinéma d’épouvante et d’auteur aux États-Unis avec des films comme Hérédité, en Corée du Sud avec Un train pour Busan et plus récemment Parasite, dans les séries avec The Haunting of Hill House et American Horror Story, ou des registres plus réalistes avec Mindhunter. Et grâce à Marianne, la France participe à ce mouvement et propose son regard. L’avantage c’est qu’avec ses références aux grands classiques comme L’Exorciste, Seven, Cujo ou encore Ju-On, elle fait des clins d’oeil aux amoureux de l’horreur sans pour autant se fermer aux néophytes. Et que l’on soit un habitué ou non, on saura reconnaître que Samuel Bodin connaît et aime profondément cet univers, et qu’il s’éclate à apporter sa pierre à l’édifice, ce qui apporte toujours un petit quelque chose au visionnage malgré ses évidentes maladresses. 

En résumé, je vous recommande Marianne parce que qu’elle vous plaise ou non, que vous soyez terrorisés, émus, divertis, dérangés ou déçus, quelque soit l’opinion ou l’impression qu’elle tirera de vous, elle ne vous laissera pas indifférent, parce que Marianne ne repart jamais sans rien.

Madame Daugeron, possédée par Marianne, interprétée par Mireille Herbstmeyer