Si il est un film culte en cette saison, c’est bien, L’Etrange Noël de Monsieur Jack ! Sorti sur nos écrans en 1993, il est aujourd’hui indissociable de l’univers de Tim Burton. 

L’Etrange Noël est tiré d’un poème écrit par Burton lui même et inspiré par celui de Clement Clarke Moore, La Nuit avant Noël. On notera le titre original The Nightmare Before Christmas (Le Cauchemar avant Noël, pour les non anglophones). Ce film contient à lui seul toute l’essence de l’imaginaire du petit garçon de Burbank fasciné par le cinéma d’horreur et la littérature. On y retrouve surtout les influences du jeune Tim qui l’ont très tôt poussé vers l’animation comme une opportunité de créer “un dessin en trois dimensions”. 

“Il y a très peu de projets dans lesquels on se sent impliqué personnellement. J’ai ressenti ça pour Vincent et je ressens la même chose pour l’Etrange Noël de Monsieur Jack”, déclare Burton dans ses Entretiens avec Mark Salisbury

Avant toutes choses, petit point scénario (pour ceux qui vivrait dans une grotte): Jack Skellington, roi des citrouilles et guide de Halloween-ville, s’ennuie : depuis des siècles, il en a assez de préparer la même fête de Halloween et rêve de changement. Le hasard lui permet d’entrer dans la ville de Noël dans laquelle il découvrira des couleurs et une gaieté qui l’émerveilleront. 

Vincent de l’autre côté du miroir 

Tim naît le 25 août 1958 à Burbank en Californie (non loin d’Hollywood et ses hauts lieux donc). D’une nature solitaire, il y grandit entouré d’une famille quelque peu dysfonctionnelle et, surtout, surtout d’un ennui mortel. Le petit Tim est cependant, déjà, doué d’une imagination extrêmement fertile qu’il va opposer comme une arme de survie à cette existence grise. Son refuge sera alors dans la lecture (Roald Dahl, Edgar Allan Poe…) et dans le cinéma de sa ville. Il y découvre notamment les films d’horreur de la Hammer, l’acteur Vincent Price (de qui il restera un fervent admirateur) et sera fasciné par les maquettes du grand manitou Ray Harryhausen (Le Monstre du Temps Perdus, Le Septième Voyage de Sinbad..). 

Burton présentera d’ailleurs très vite une certaine disposition pour cet art armé d’une caméra super 8 et de tout ce qui lui tombe sous la main. Il dessine également énormément et réalisera les premières esquisses de Jack Skellington. 

Lorsqu’il a 18 ans, il intègre grâce à une bourse la California Institute of Arts (fondée dans les 60s par Walt Disney lui même). Il sera par la suite engagé dans la célèbre firme grâce à son court de fin d’étude The Stalk of the Celery Monster (1979). 

Les projets qui lui sont confiés l’ennuie cependant comme Rox et Rouky (1981). “Un vrai supplice”, ira t il jusqu’à dire. Il a cependant l’occasion de travailler sur le concept de Taram et le Chaudron magique (traumatisme de toute une génération, s’il en est) pour lequel il livrera quantité de recherches graphiques qui seront malheureusement rejetées. Grâce au soutien d’un petit groupe d’exécutifs, néanmoins, il se verra alloué 60 000 dollars de budget pour Vincent, un court animé image par image et hommage à son idole Vincent Price. Le film, tiré de l’un de ses poèmes, aura même la consécration de voir Vincent Price lui même en réciter le texte ! 

Le film sera couronné de succès auprès des festivals de Chicago et d’Annecy. Tim rempile alors avec son interprétation personnelle de Hansel et Gretel (1982). Celui ci sera cependant diffusé sur Disney Channel à 22h30, empêchant ainsi toute découverte massive, en raison de son “univers singulier et surprenant”. Il retente l’expérience avec ce qui sera la première version de Frankenweenie (1984). C’est toutefois une nouvelle frustration pour Tim car le film est très vite interdit au moins de 12 ans ce qui compromet sa place d’avant programme pour Pinocchio. Déçu, il quitte Disney pour la Warner laquelle lui propose le long métrage Pee Wee’s Big Adventure (1985) d’après le show du clown Pee Wee (interprété par Paul Reubens) bien connu de la télévision américaine. Il rencontrera d’ailleurs sur le tournage Danny Elfman qui en compose la bande originale. Le succès est là et ce malgré une critique en majeure partie négative. Il s’ensuivra les célèbres têtes d’affiches du palmarès burtonien comme Beetlejuice (1986) et Batman Returns (1989). Il fondera sa propre entreprise de production vers la fin des années 80’s afin de ne plus être freiné dans son processus créatif. 

Le projet The Nightmare Before Christmas, quant à lui, est imaginé par Tim en 1982, alors qu’il est encore animateur chez Disney. Le projet est, à l’époque, refusé par la major car “trop effrayant”. C’est dix ans plus tard, que le réalisateur encore taraudé par Jack Skellington, réussira à le produire avec cette même firme à la souris (laquelle en possède les droits en raison du statut d’employé de Tim à l’époque de sa création). L’Etrange Noël de Monsieur Jack sortira alors sur nos écrans en 1993 sous le nom de Tim Burton’s Nightmare Before Christmas (FR: Tim Burton présente: L’étrange Noël de Monsieur Jack). Seule et unique occurrence de ce genre, on notera. 

Image par image 

L’Etrange Noël de Monsieur Jack possède une place toute particulière dans le monde de l’animation. Le film marque, en effet, un tournant dans ce domaine si particulier. Il lui apporte, d’abord, un certain nombre d’améliorations techniques. Il permet surtout d’amener un coup de projecteur sur une technique quelque peu délaissée à l’époque par les animateurs eux mêmes. 

L’animation, et particulièrement l’animation en volume (ou stop motion), est un processus long et, oserait on le dire ?, difficile. Une fois le concept, la technique et le matériau choisis (dessin ? ombres chinoises ? pâte à modeler ? poupées ?), le tournage s’avère fastidieux. Un seul mouvement consiste en une série de clichés qui le décompose. C’est une fois le tout monté que l’on obtiendra l’effet escompté suivant un certain nombre de choix (vitesse,  effets…). 

Cette technique reste cependant très appréciée et respecté et ce, dès les débuts de l’animation. De l’avis général, on fait remonter sa première occurrence avec The Haunted Hotel (J. Stuart Blackton, 1907).

https://www.youtube.com/watch?v=MDRaPC4EXpo

Les puristes auront reconnus le nom du créateur des Humorous Phases of Funny Faces (1906), premier film à qui on attribue communément l’utilisation du principe de l’animation (tel que l’on entend techniquement aujourd’hui du moins).

L’un des plus grand noms de cette technique reste cependant George Pal et ses Puppetoons. Issu de la contraction de “puppet” (FR: poupées) et de “toon” (FR: dessin animé), ces petites créatures ont à leur actif un nombre certain de publicités et de longs métrages à l’esthétique travaillée (et qui n’est pas sans rappeler celle de Burton). George fut l’un des premiers à utiliser des parties du corps interchangeables pour ses poupées. Des têtes différentes pour chaque expressions ou encore des bras à intervalles différents figurent une belle avancée en ce que le risque de détérioration de la poupée est moindre. Ceci nécessite cependant la création d’un nombre plus important d’objets spécifiques. Il fallait, par exemple, pas moins de 12 paires de jambes pour une séquence de marche chez les Puppetoons. 

https://www.youtube.com/watch?v=ulISb_i3tV4&t=329s

Une technique qui sera néanmoins reprise par ses successeurs et notamment Tim Burton, lequel créera avec son équipe pour les besoins de tournage pas moins de 200 têtes de Jack Skellington différentes. 

“Que vois je ?!”

Un plongeon dans la cinématographie de Tim Burton, c’est comme Jack Skellington qui plonge dans le monde de Noël. On ne sait jamais ce que l’on va y trouver mais son univers est reconnaissable entre mille. “Pour moi, travailler avec Tim, nous dit Johnny Depp, c’est comme rentrer à la maison. Une maison pleine de pièges, certes, mais de pièges confortables. Très confortables. Personne ne peut compter sur des filets de sécurité, mais c’est ici que j’ai été élevé.” (Préface Tim Burton, Entretiens avec Mark Salisbury). 

Tim réussit, en effet, à nous embarquer dans son univers personnel mais d’une telle façon qu’il en réveille notre nostalgie enfantine. On pourrait presque croire à un grand frère qui nous racontera une histoire de fantôme avant de dormir. 

Un univers déroutant et une imagination débordante qui ne doit pas faire oublier le talent d’animateur de Tim Burton. L’Etrange Noël mais aussi Corpse Bride (FR: Les Noces Funèbres, 2006), non contents d’être de pures merveilles visuelles, apportent leur pierre à l’édifice d’une technique si dure mais tellement magique. Il est à noter que c’est au cours du tournage de Corpse Bride que Tim aura l’idée d’utiliser une nouvelle sorte de marionnettes dont la structure permet la déformation sans en altérer le matériau (ici plastique). 

Un amour pour ces poupées animées qu’il exprimera encore une fois au cours de ses Entretiens avec Mark Salisbury :“Je l’aime pour des raisons indicibles, inconscientes. L’animation image par image dégage quelque chose de magique, de mystérieux, de tactile. Je sais qu’on peut obtenir un résultat similaire, voire supérieur, avec des ordinateurs, mais sans cette qualité “fait main” qui lui donne sa résonance émotionnelle, enfin pour moi. C’est peut être un effet de la nostalgie, mais je pense que ce médium véhicule toutes ces choses”. 

Si l’animation reste son domaine de prédilection, son esthétique en prise de vue réelle n’est jamais éloignée de ces “dessins en 3 dimensions” et même parfois les deux cohabitent. Ce fut le cas, par exemple avec Alice au Pays des Merveilles (2010) et Mars Attack (1996) qui usent tous les deux de prises de vues réelles et d’imagerie numérique. 

Tim Burton, et ce quelque soit la technique utilisée, nous embarque dans son univers horrifico coloré. Un souci du détail, une créativité débordante et, surtout, un travail acharné ont permis d’ouvrir la trappe entre l’univers burtonien et le nôtre. L’animation par bien des égards figurent l’un des seuls art animé capable d’une telle merveille. 

“Pour quelles raisons l’animation fascine-t-elle ? D’abord par son caractère magique, car elle permet de donner vie à des dessins, à des marionnettes…: il s’agit d’une forme d’illusionnisme. Mais également parce que cet art, le “septième bis”, curieusement lié ainsi à celui du cinéma, art du XXe siècle prend ses sources dans tous ceux qui l’ont précédé: la peinture, la sculpture, le dessin, la musique,la danse, la dramaturgie… L’idée d’un“art total” rêvé par les créateurs d’opéra, incarnés par certains cinémas, peut se matérialiser magistralement dans le cinéma d’animation tant il se situe à de multiples carrefours” , Olivier Cotte, 100 ans de cinéma d’animation