Qu’ils soient la métaphore de tel ou tel gouvernement, idéologies ou simple moyen d’exorciser la peur de se faire exterminer, les extraterrestres sont avant tout la matérialisation de notre peur de l’autre. L’Autre est différent, déformé, monstrueux, menaçant, dangereux. Il prend maintes formes pour nous traquer, il se glisse dans des conduits ou investit nos corps.
Après avoir exploité les Universal Monsters (Dracula, Frankenstein, la Momie…) et les figures du fantastique, le cinéma d’épouvante s’est très vite emparé de ces nouveaux et redoutables antagonistes aux apparences et pouvoirs sans limites venus d’autres planètes. L’heure n’est plus aux créatures revenues d’entre les morts et les loups-garous, les années 50 voient apparaître la peur du nucléaire, la Conquête Spatiale qui ouvre de nouvelles portes sur des mondes inexplorés et enfin des méchants d’une toute autre nature. Qu’on tombe sur eux dans l’espace ou qu’ils viennent à nous sur Terre directement, leur but est sensiblement le même : nous détruire. À l’inverse des films d’action et de guerre, les films d’horreur préfèrent un extraterrestre plus ou moins unique, qui s’attaque à un petit groupe de personne ou une ville, plutôt qu’une armée contre une nation.
Danger planétaire / The Blob, Irwin Yeaworth, 1958
Une météorite s’écrase sur Terre, près de la maison d’un vieil homme. Il s’approche de la curiosité, qui s’ouvre en deux et libère une masse gélatineuse rouge qui s’agglutine autour de son bras. Dans sa panique, le pauvre homme part en courant et se retrouve sur la route, rencontrant deux jeunes (Steve et Anne). Après avoir tenté de le libérer du « Blob » sans succès, ils décident de l’emmener chez le médecin..
Même s’il ne fait clairement plus aussi peur qu’à sa sortie, The Blob est aujourd’hui encore un film culte, typique de l’émergence du cinéma de genre. Tout comme la plupart des films sortis dans ces années là, le Blob est une métaphore de la peur de l’autre dans le contexte de Guerre Froide. Le choix du rouge peut autant être attribué à son apparenté avec le sang qu’au communisme. Ceci dit, à l’instar de L’invasion des profanateurs de sépultures, on pourrait avec le recul penser que l’alien maléfique n’est pas une métaphore de l’URSS mais du maccarthysme (système de censure américain anti-communiste).
The Blob a été extrêmement populaire à sa sortie parce qu’il était dans la veine de ces films où les adolescents étaient les héros, le plus souvent opposés à une autorité plus âgée qui refuse de les écouter et en subit les sinistres conséquences. En effet, dès le milieu des années 1950, la jeunesse américaine envahit les salles de cinéma et cherche à trouver des protagonistes qui lui ressemblent. Balayant ainsi le cinéma classique hollywoodien où les adultes prédominent, c’est toute une vague de films qui va virer de bord et donner les premiers rôles à de jeunes acteurs.
En parallèle, l’avancée de la Conquête Spatiale et les premières affaires d’ufologie suscitent l’intérêt pour le spatial. S’emparant alors de cette source de menace éventuelle, le cinéma d’horreur réunit les deux tendances : des adolescents face à une créature venue de l’espace, et ça donne The Blob.
Solaris, Andreï Tarkovski, 1972
Le titre du livre d’origine de Stanislas Lem et de son adaptation filmique vient du nom de la planète autour de laquelle va se dérouler l’histoire. Elle est recouverte d’un océan qui pourrait s’avérer être une nouvelle forme de vie intelligente, une créature avec laquelle le contact est impossible malgré les nombreuses études scientifiques menées. Un psychologue, Kris Kelvin, connu pour ses recherches sur la planète, est envoyé sur la station qui orbite autour d’elle afin de répondre à un étrange message de son ancien professeur. Ce dernier s’y trouve avec les deux derniers scientifiques de la mission, et tous les trois accueillent le personnage dans une ambiance totalement paranoïaque. Dès sa première nuit dans le vaisseau, Kris tombe nez à nez avec sa femme qui s’est pourtant suicidé des années auparavant…
Solaris n’est pas un film d’épouvante à proprement parlé, et il ne vous effraiera pas autant que les grands classiques horrifiques. Cependant, c’est bel et bien une ambiance de thriller psychologique mêlée au genre de la science fiction que nous avons devant nous. La planète Solaris, réelle entité vivante, créée des copies conformes des êtres chers perdus de l’équipage. Sombrant peu à peu dans la folie et la paranoïa, les personnages se retrouvent à ne plus discerner le vrai du faux, et plus dangereux encore : à ne plus en avoir envie. Car quand une âme aimée revient d’entre les morts, même s’il s’agit d’une illusion, pourquoi ne pas s’en réjouir ? Pour les amateurs d’histoires d’extraterrestres et de science fiction un peu délirante, ce film est l’occasion de découvrir le cinéma du célèbre réalisateur russe Andreï Tarkovski.
Alien, Ridley Scott, 1979
À bord du cargo spatial Nostromo, l’équipage est tiré de son hibernation par l’ordinateur de bord qui a détecté un signal dans une planète voisine. Ils se rendent à la surface et découvre la carcasse d’un vaisseau avec à l’intérieur des milliers d’oeufs extraterrestres…
Comment peut-on parler d’extraterrestre et de film d’horreur sans mentionner le chef d’oeuvre du genre, Alien, de Ridley Scott ? On ne présente plus le Xénomorphe, créature sortie de l’imagination de l’artiste suisse H.R.Giger et du créateur d’effets spéciaux italien Carlo Rambaldi, cette espèce de reptile quasiment invincible a terrorisé des générations entières et fait sans doute partie des premières images que l’on a lorsqu’on entend le mot « alien ».
Ce qui a aussi fait le charme d’Alien, ce n’est pas seulement son antagoniste mythique, c’est aussi son héroïne principale : Ellen Ripley. Interprétée par Sigourney Weaver, cette femme badass a su devenir un personnage aussi culte que le film dans lequel elle évolue à une époque où les premiers rôles étaient réservés aux hommes. Aujourd’hui, on aime à redécouvrir Alien pour son ambiance lourde, son rythme maîtrisé et son univers vertigineux, avec le labyrinthe du Nostromo et l’horreur des créatures qui osent s’y infiltrer.
Et tant qu’à évoquer cet incontournable, autant se souvenir de ses deux premières suites : Aliens de James Cameron et Alien 3 de David Fincher. Chacun en va de son opinion quant à quelle suite est la meilleure, quelle suite est une honte infâme à l’oeuvre originale. Si les deux premières ont leur lot de défauts, la trilogie originelle d’Alien a ça d’intéressant : trois films liés par la même histoire, mais unique en leur genre. James Cameron a choisi d’attaquer l’inattaquable en le transformant davantage en film d’action, mettant plutôt en avant l’aspect badass d’Ellen Ripley et créant au passage la Mère Alien, ou Reine Alien, monstre magnifique et terrifiant. David Fincher, bien que la réalisation d’Alien 3 ait été une lente agonie, a su malgré tout livrer un film torturé, qui renoue avec le côté sombre et gore du premier en poussant les cursus et jouant avec des anti-héros.
The Thing, John Carpenter, 1982
En Antarctique, une équipe de scientifique découvre la carcasse d’un vaisseau spatial extraterrestre enterrée sous la glace. Dans le roman écrit par John W.Campbell et sa première adaptation par Christian Nyby (1951), un cadavre inhumain est découvert, ramené à la base, et se révèle être vivant. L’équipe se rend vite compte que l’alien peut se cacher parmi eux : il peut copier l’apparence et la personnalité de n’importe quel humain ou animal…
Dans la seconde adaptation par John Carpenter, la créature d’un autre monde a déjà pris la forme d’un être vivant quand elle est ramenée à la base. Là où le premier film s’éloignait quelque peu de l’histoire originale, The Thing de 1982 la suit plutôt bien. Peu à peu, les têtes tombent, et la suspicion contamine les membres de l’équipe. La créature apparaît plusieurs fois sous sa « vraie » forme : entre deux métamorphoses, une masse de chairs écorchées et des traits déformés, monstrueux, dégoulinants de sang. Les effets spéciaux pratiques n’ont pas vieilli, pas plus que le rythme certes moins pressé que de nos jours.
Une raison de plus de redécouvrir ce huis-clos glacé et temple de la paranoïa ? Une bande son angoissante signée par le grand Ennio Morricone.
Predator, John McTiernan, 1987
Un vaisseau spatial d’origine inconnue largue une capsule qui s’écrase sur Terre, en Amérique centrale. Un officier des forces spéciales (joué par l’immortel Schwarzenegger) est envoyé dans la jungle sous prétexte d’un sauvetage… Mais il n’est en rien. Non seulement c’est pour une toute autre mission secrète qu’on l’a embarqué dans cet enfer, mais il ne s’attend pas à être confronté à une créature humanoïde meurtrière et invincible.
Aujourd’hui, et peut-être même à l’époque, Predator a pu faire sourire. Au départ, le pitch a tout du film d’action avec ses héros excessivement musclés armés jusqu’aux dents. Cependant, lorsque le Predator commence à décimer les membres de l’équipe envoyée dans cette jungle poisseuse, on s’engouffre dans un film sanglant. S’il a peut-être un peu mal vieilli aujourd’hui et n’effraie plus autant qu’avant, Predator reste un classique de film gore qu’on prend plaisir à découvrir ou re-découvrir, d’autant plus qu’il a quand même donné vie au célèbre et redoutable Predator, et sa tête de porte bonheur.
Le village des damnés, Wolf Rilla (1960) et John Carpenter (1995)
La petite bourgade de Midwich est témoin d’un étrange phénomène : d’un seul coup, tous ses habitants (humains comme animaux) s’évanouissent. Quelques heures plus tard tout rentre dans l’ordre, mais plusieurs semaines après l’événement une dizaine de femmes découvrent qu’elles sont enceintes. Lorsque les enfants viennent au monde, ils ont l’air normaux si on fait fi de leurs cheveux blancs comme neige et de leurs personnalités froides…
Initialement intitulé Les coucous de Midwich, le roman de John Wyndham publié en 1957 aura deux adaptations. La première en 1960, titrée Le village des damnés de Wolf Rilla, et la seconde de John Carpenter en 1995, portant le même nom. Le livre a depuis été réédité sous le même titre que les deux longs-métrages.
S’il s’agit d’un film d’invasion extraterrestre, il appartient néanmoins à la branche de l’épouvante grâce à son ambiance particulièrement anxiogène. En effet, ici pas de soucoupes volantes qui se battent avec l’armée mais une ribambelle d’enfants, beaux visages angéliques malgré l’insensibilité qui transparaît par leurs yeux. Les deux films montrent des parents désemparés par leur nature. Et même lorsqu’ils arrivent à admettre ce que leur progéniture est réellement, comment l’affronter ?
Les deux adaptations livrent des histoires loin des clichés du genre où l’alien est une abominable créature sur laquelle il est si facile de tirer. C’est encore plus pervers que The Thing ou L’invasion des profanateurs de sépultures où les extraterrestres prennent la forme d’humains adultes. Ici, la menace se cache derrière le visage de l’innocence.
En s’emparant de l’extraterrestre comme grand méchant de ses films, le cinéma d’horreur en a fait l’image de notre peur de l’autre. Il n’y a qu’à se rappeler l’étymologie du nom de l’un des plus terrorisant des aliens, le Xénomorphe : xéno, qui veut dire « étranger » en grec ancien pour comprendre que ces êtres sont tous des images de ce que nous redoutons chez les autres de notre espèce. Hideux monstres ou manipulateurs aux visages humains, les extraterrestres nous ont poursuivi dans des dédales de paranoïa et de hurlements en se servant de nos peurs les plus ancrées.