“En un sens, je suis déjà mort”, “j’ai perdu quelque chose”, déclare Lester Burnham dans le monologue d’amorce aka personnage principal d’American Beauty (1999). L’homme est lessivé, “léthargique” comme il le dit lui même. Il a pourtant tout ce que l’on souhaiterait: un job, une femme, un enfant et une maison. Il n’est pas heureux cependant et se trouve coincé dans un modèle qui n’est pas le sien. Le changement ne va cependant pas tarder et faire tomber le(s) masque(s).
C’est une superbe parabole sans fard (ou presque) que nous livre Sam Mendès et son oeuvre désormais cultissime, primée 14 fois sur 16 nominations (dont Oscar du meilleur film). Le réalisateur britannique fut d’ailleurs recommandé par Steven “Dieu” Spielberg, lequel a apporté un peu de son regard avisé sur le tournage. C’est dire ! Kevin Spacey dans le rôle principal et un scénario par Alan Ball (True Blood, Six Feet Under…), bref, un générique tout en Beauty pour une histoire pas si rose (vous l’avez ?).
Apparences & Perfection
Quel meilleur cadre pour un jeu de cache cache d’intrigues scandaleuses que la famille ?
Celle ci figurent en effet le lieu parfait pour toute étude sociale en ce qu’elle constitue un microcosme divers et varié. Il n’y a qu’à voir le nombre d’oeuvres à but “d’exploration sociologique” qui utilisent ce cadre : Millenium (2009, Niels Arden Oplev) dont vous devez absolument lire le roman de base, Le Prénom (2012, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte), Rocco et ses frères (1960, Luchino Visconti), Hannah et ses soeurs (1986, Woody Allen)…pour n’en citer qu’un échantillon.
C’est cependant du rêve américain à la Desperate Housewives qu’il est question ici et, par extension, du fantasme de la parfaite famille moderne. La pression est forte. On veut y coller coûte que coûte…même si cela revient à sombrer dans une prison dorée. Devant les amis, devant les membres même de sa famille, on s’y accroche. Il faut sourire, montrer qu’on a du succès, que l’on rentre dans le moule quoi. Ceci à tel point que l’individu derrière le masque de sourire s’efface doucement. Notre sympathique Lester dit lui même s’être “réveillé” suite à sa première rencontre avec la belle Angela Hayes. “Notre mariage n’est qu’une devanture. Une publicité pour faire croire que tout va bien alors qu’on est loin d’être standard”, crie t il à sa femme workaholic psychotique. Cette femme qui est d’ailleurs l’incarnation même de cette pression sociale tant elle l’a interiorisé. Elle finit par perdre le contrôle de ce personnage qu’elle s’est construit. La scène de sa crise de nerf pour une maison invendue en est l’illustration même.
Il se met alors à tout envoyer valser et (re)commence à vivre sa meilleure vie sans plus se soucier des règles de conduite d’un quarantenaire de banlieue. Le père de son nouvel ami, Ricky Fitts, en comparaison tient plus de la cocotte minute. Son fils, réfractaire à la morale paternelle stricte, militaire et franchement homophobe, devient alors le parfait punching ball pour laisser aller ses frustrations.
Le lien du couple Jane/Ricky, adolescents rebelles et artistes à fleur de peau avec ceux de leurs parents est, d’ailleurs, plus que flagrant de contrastes. L’inexpérience est, ici, l’allié en ce que le masque, plus fin, n’est pas encore tout à fait défini.
Beauté & brutalité
Notre Lester ne sera malheureusement apaisé que dans la mort. Libéré de toutes ces intrigues qui faisaient sa vie, il se souvient des longues soirées à regarder le vent jouer avec les branches des arbres. Il trouve alors cela tellement beau qu’il en est envahi d’un immense sentiment de gratitude. Il est reconnaissant d’avoir simplement été autorisé à passer dans un monde si beau et d’avoir pu le contempler ne serait ce qu’un moment.
Le monologue de Richy face à sa plus belle prise, également, rejoint ce message et va même plus loin encore. Il y a tellement de beauté dans le monde, dit il, que ça en est presque insupportable.
Tout est Beauté. Celle ci dépendrait du regard cependant. Il faut alors apprendre à regarder sans filtre.
La Beauté se fait donc ici femme fatale baudelairienne. Elle obsède. On tente d’y résister. Elle déchire et brutalise. Celle ci est alors représentée, non pas comme un “rêve de pierre” comme chez le poète, mais sous les traits d’une jeune fille aux fleurs. Elle réveille Lester et lui rappelle ce qui lui manque tant. Un wake up call qui ne sera pas au goût de son entourage qui, lui, n’est pas prêt à faire tomber le masque et les faux semblants.
Le rôle de la caméra est alors central de le processus de destruction du masque. Le jeune Richy ne cesse de filmer ce qui l’entoure. Il documente ce monde qu’il trouve violemment beau. Les gens, les plantes, les phénomènes naturels… tout est matière à révéler sa beauté. La caméra devient alors outil de vérité là où le regard est baisé par le psychologique. Le cinéma mais surtout l’Art (avec un grand A) est, de ce fait, nécessaire.
American Beauty c’est donc, plus qu’une crise de la quarantaine aux faux airs thriller ish. C’est une critique du fantasme de la vie parfaite dans les banlieues américaine mais surtout de la société moderne. Un vie où la pression sociétal est tel que l’on doit ériger des masques comme des murs entre le monde et soi. L’Art sous les traits de la caméra devient le médiateur et l’artiste le fou gênant à l’image de Richie guidant Lester.