Il était impensable de parler du trip à l’écran sans mentionner le cultissime Las Vegas Parano ! Adapté du non moins célèbre roman du non moins célèbre Hunter S. Thompson, le film ne laisse personne indifférent. Petit aperçu de l’un des piliers de la culture psychédélico sous substance au cinéma.
Avant toute chose, it’s synopsis time : Le reporter Raoul Duke est engagé pour couvrir une importante course de moto dans le désert du Nevada non loin de Las Vegas. Il embarque alors avec son avocat, le Dr. Gonzo, dans un voyage haut en couleurs et en rebondissements à la recherche du rêve américain.
Nécessaire de voyage : retour sur le matériau
Avant même d’essayer de comprendre le comment du pourquoi, il faut absolument replacer l’œuvre dans son contexte. Fear and Loathing in Las Vegas est un roman publié en 1971 par Hunter S.Thompson. Le moins que l’on puisse dire, d’ailleurs, c’est que Thompson est un roman à lui tout seul. L’homme est aussi imprévisible que brillant et fait autant parler par ses frasques que par ses romans. Il intègre, par exemple, la troupe des Hell’s Angels pour un roman au cours des années 1960’s et… frôlera la mort passé à tabac par ses nouveaux amis. Thompson est surtout reconnu pour l’invention d’un nouveau genre littéraire : le gonzo journalisme. Pour la faire courte, il s’agit pour l’auteur de s’impliquer soi-même dans l’histoire, de la vivre. C’est pourquoi Raoul Duke, personnage récurrent dans l’oeuvre de Thompson, est très souvent décrit comme une sorte d’alter ego haut en couleur de son créateur. L’auteur devient alors personnage et narrateur et apporte par là un caractère subjectif mais surtout extrêmement vivant à l’œuvre.
Qui de plus indiqué, alors, pour adapter au cinéma une telle œuvre qu’un autre explorateur (vous avez dit “ovni” ?) créatif ? C’est ainsi Terry Gilliams qui s’applique à la réalisation du film à la fin des années 1990’s. Gilliams, s’il est surtout connu pour sa période Monthy Pythons (rien que ça), est aussi illustrateur de talent et est à l’origine de quelques court-métrages animés.
Voyage dans la soixante dixième dimension
Le film bénéficie donc d’une matière première de choix. L’exercice de l’adaptation, cependant, s’avère compliqué. L’œuvre originale dégage, en effet, une énergie explosive. L’usage de la première personne permet, de plus, au lecteur de se plonger au cœur de l’histoire.
Gilliams opte ainsi pour un montage rapide et presque saccadé aux points de vue qui donnent le tournis. Le travail des couleurs, tout en saturation et contraste, ajouté à cela et c’est la vision de Duke qui se dévoile face à la caméra. Comme pour lui, les formes et les couleurs se mêlent face à la caméra, brillent et tourbillonnent à l’image de ses pensées. La voix off de Raoul Duke finissant de plonger le spectateur à sa suite dans un trip suggestif au coeur de l’expérience.
Les visions psychédéliques, tantôt figurées tantôt suggérées, participent de ce trip collectif. La scène des chauves souris, particulièrement, cristallise ceci en ce que l’on aperçoit à peine la forme des animaux sur les lunettes de Duke. Elles disparaissent ensuite du champ de vision pour n’être incarnées que par le son et le jeu on point de Johnny Depp.
Angels and stripes
Le but de toutes ces péripéties acidifiées est donc, selon les dires de Duke lui-même, “la recherche du rêve américain”. Et quel meilleur endroit pour cela que Las Vegas, son désert et ses mythiques casinos ?
Au milieu de cet étalage de richesses et de néons, Duke se rappelle alors les 60’s et la liberté. Les drogues coulaient à flot, une vague immense déferlait sur le pays, se souvient-il. Une vague qui, dès 1971, selon lui, a déjà effectué son reflux. Ce n’est plus que puritanisme et bienséance. Le rêve américain s’est resserré au hublot lumineux de quelques projecteurs. Le flower power n’est plus et Duke et Gonzo sont juste deux drogués en pleine descente partageant un repas dans un dinner du nord de Las Vegas. Gonzo, quant à lui, violent, misogyne, n’est plus qu’une pâle caricature de Dean Moriarty (Sur la Route, Jack Kerouac, 1957). Un rêve presque sacrifié, condamné d’avoir brûlé trop vite.
Que dire de ce film ? Déjà, qu’il ne s’agit pas d’un film qui se raconte mais d’un film qui se voit. Las Vegas Parano, livre comme film, doit être ressenti.
L’adaptation filmique, cependant, ne dépasse malheureusement pas le stade du “pas mal”. Si les fans du roman adoreront voir sur écran les tribulations des deux protagonistes, le film paraît avoir simplifié le discours. Là, en effet, où Thompson prône un subtil mélange entre la nécessité de faire sa propre expérience, l’expression de l’individualisme et un discours politique libertaire, le film semble avoir totalement raccourci le message à une descente difficile (presque anti-drogue).