La lettre 48, la table pour la première fois consacrée, Madame de Merteuil, un grand classique de la littérature française qui ne se démode toujours pas. Bien qu’il fut publié en 1782 dans le contexte de la décadence de l’aristocratie et de ses libertins en mal de sensations fortes, l’œuvre semble intemporelle. Amour et trahison sont en effet des thèmes universels comme en témoigne le succès non démenti de Roméo et Juliette (William Shakespeare, 1597). Ces lettres entre le vicomte, la marquise, Madame de Tourvel et consorts abordent cependant bien plus qu’une simple histoire de coeur. On parle ici de la condition de la femme, de la volonté de s’émanciper des carcans étroits de la société, du monstre derrière le masque, du spectacle de la scène public, de stratégie… Une oeuvre des plus inspirantes donc qui n’a pas été sans inspirer les cinéastes. On connait bien évidemment l’adaptation de Stephen Frears sortie 1989 (et trois fois oscarisée). Le roman fut aussi mis en image pour des projets divers tels que le film très sixties de Roger Vadim (1960), le plus moderne Sex Intentions de Roger Kumble (1999) ou même la version sino-coréenne dirigée par Hur Jin-ho (2012) avec Zang Ziyi. Un projet de série serait même sur les rails.
Aussi intemporelle et universelle qu’est l’oeuvre de Choderlos de Laclos, elle est également soumise à l’éternel casse-tête de l’adaptation cinématographique. Lorsqu’on en vient au roman épistolaire, surtout, comment rendre le message exprimé par des points de vue subjectifs tout en gardant son identité de base ?
La subjectivité
Un roman épistolaire est composé de lettres. Jusque là, on ne vous apprend rien. Des lettres, cependant, sont l’expression d’un point de vue subjectif sur un événement. Non seulement subjectif mais tout y est construit selon ce que la personne qui écrit souhaite communiquer ou non. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt du roman. Comment alors exprimer cela à l’écran où la caméra dévoile ce que l’écriture pouvait occulter ? Il s’agit là de la problématique majeure d’une adaptation de la plume à l’écran : utiliser les opportunités de chaque médium. Les expressions faciales, le ton de la voix mais aussi l’angle de caméra permettent de donner une toute autre interprétation au discours oral.
Les lettres
La dimension littéraire est également l’un des piliers de l’oeuvre. Le langage et surtout sa manipulation figure le point central de l’intrigue. Ceci se retrouve également dans la plupart des adaptations comme celle de Frears dans laquelle on retrouve régulièrement les protagonistes assis à leur bureau voire en train de lire en voix off une de leur production épistolaire. A ceci près de différent de l’oeuvre première que ces scènes d’écriture semblent plus servir à révéler qu’à manipuler comme le démontre la fameuse scène de la lettre 48.
Les interprétations ne sont pas en reste non plus. Sex intentions, notamment, utilise le journal du Valmont comme témoignage et preuve de l’arnaque de Kathryn Merteuil.
Le message de fond
En ce qui concerne le passage d’un médium à un autre, l’une des principales préoccupations reste le sens à donner à tout cet étalage d’images ou de lettres. Choderlos de Laclos a délivré un véritable plaidoyer pour la cause féministe et surtout une critique de la société du spectacle comme dirait Guy Debord.
L’adaptation de Stephen Frears nous en livre, heureusement, une version assez proche de la version originale avec notamment sa scène finale.
L’adaptation de Roger Kumble, même si elle est transposée en des temps plus modernes, se penche toujours sur la même problématique avec, notamment, les petits détails et les accessoires qui révèlent bien plus qu’un long discours. La croix que porte continuellement Kathryn, symbole de son apparente perfection, cache en réalité une réserve de cocaïne.
Les Liaisons dangereuses est sans conteste une oeuvre des plus actuelles tant dans sa version littéraire (que les puristes apprécieront) que dans sa dimension d’inspiration inépuisable pour les auteurs et réalisateurs de cinéma qui continue d’actualiser une oeuvre qui reste résolument moderne.