This is the end

Beautiful friend

This is the end

My only friend

Pour le début de son film Apocalypse Now, Francis Ford Coppola a trouvé ironique de jouer The End, des Doors (inutile des les présenter n’est ce pas ?). À l’écran des images superposées : une forêt bombardée qui prend, des hélicoptères dans le ciel dont les hélices se confondent avec celles d’un ventilateur, le visage du personnage principal à l’envers. Pas de titre, pas de nom, seulement la musique et le son entêtant des machines.

Remettons nous dans le contexte rapidement : sorti en 1979, Apocalypse Now nous emporte en pleine guerre du Viet Nam et raconte l’histoire de Willard, un soldat désoeuvré croupissant dans une chambre d’hôtel à Saïgon et qui, entre deux bouteilles d’alcool, ne songe qu’à retourner au combat car c’est la seule chose qu’il saisit désormais. Son souhait est alors plus ou moins exaucé : on lui ordonne d’aller exécuter secrètement le colonel Kurtz qui a fui l’armée et s’est réfugié au fin fond de la jungle, au-delà même de la frontière. Là-bas, il a rassemblé un petit groupe de fidèles et mène des attaques terribles contre « l’ennemi ».

Il s’agit d’une adaptation de la nouvelle Heart Of Darkness, de Joseph Conrad, qui, elle, se passait en Afrique. Les deux oeuvres ont en commun le protagoniste remontant un sinistre fleuve à la recherche d’un homme qui a sombré dans la folie.

Les Origines

Une version inachevée du film est projetée pour la première fois en Mai 1979, au Festival de Cannes. Une claque, qui décrochera la Palme d’Or et fera un véritable pied de nez aux journalistes du monde entier qui avait rebaptisé le film Apocalypse When ? à cause des retards et des problèmes rencontrés lors de la production. C’est toujours avec honnêteté que Francis Ford Coppola évoquera ce qui s’est passé sur ce tournage mémorable, jusqu’à dire à la conférence de presse cannoise : « Mon film ne parle pas du Viet Nam. Mon film est le Viet Nam. »

On sait que le réalisateur a aussi dit que l’art naît parfois d’accidents, et on peut dire que ce film là les a collectionné : un typhon qui détruit le décor de fin, l’acteur principal Martin Sheen qui fait une crise cardiaque et doit être doublé par son frère, Marlon Brando qui refuse de tourner quoique ce soit pendant près d’une semaine… Un endettement de 30 millions de dollars pour Coppola qui veut à tout pris faire ce film et un cauchemar pour l’équipe qui, au lieu de six semaines restera plus d’un an aux Philippines pour tourner les 200 heures de rushes d’Apocalypse Now… Doit-on enfoncer le clou et préciser que les hélicoptères étaient prêtés par le gouvernement philippin et décollaient en plein milieu des scènes pour partir servir leur État ?

Si vous voulez en savoir plus sur les coulisses de ce tournage, je vous conseille le documentaire Heart of Darkness : Apocalypse of a filmmaker, réalisé par la femme du réalisateur et devenu aussi culte que le long-métrage.

https://www.youtube.com/watch?v=lxowb5IQRuI

Malgré l’enfer qu’aura pu être la production de ce film, Coppola tient à s’y replonger à deux reprises : la première en 2001 en sortant la version Apocalypse Redux, à laquelle il rajoute quasiment une heure de film. La seconde fois, c’est à l’occasion des 40 ans du film pour sortir Apocalypse Now : Final Cut.

Le spectateur au coeur des ténèbres

Si je devais décrire ce film en un mot, je choisirais immersion. Quand les lumières de la salle s’éteignent, dès l’intro, nous nous retrouvons au Viet Nam.

Pour la version Final Cut, les équipes sont allées repêcher les pellicules originales et les ont restaurées. Il faut savoir qu’une bonne partie du film se passe de nuit, et des détails jusque là cachés dans la pénombre deviennent visibles. On voit mieux cette jungle qui nous engloutit quand elle se referme sur les personnages et les couleurs de jours sont davantage flamboyantes.

L’esthétique reste cependant très sombre, et c’est ce qui a fait l’originalité visuelle de ce film : l’audace de sous-exposer les scènes. En cinéma, pour être certain que l’action soit bien visible, on a tendance à vouloir tout éclairer. Darius Khondji, chef opérateur, avait dit à ce sujet : « Si vous inondez de lumière, c’est que vous avez peur. »

Personne n’a eu peur sur ce film là, que ça soit la séquence de guerre nocturne où les personnages n’apparaissent que quand les flashs des bombes les éclairent ou le personnage du colonel Kurtz émerge si peu des ténèbres qu’on le ne voit quasiment jamais entier. 

Un trip auditif

Ce qui a marqué également avec ce film, c’est son mixage sonore. Et pour cause, c’est avec lui qu’on a utilisé pour la première fois le 5.1. Sans entrer dans de trop longs détails techniques, il s’agit d’un système audio à cinq voies et c’est grâce à ça que l’on a l’impression d’être « entouré » par le son dans les salles de cinéma ou chez soi lorsqu’on possède une installation de la sorte. D’où le titre générique de « 5.1 Surround ». C’était déjà une prouesse à l’époque. Walter Murch, qui a chapeauté le montage et le mixage sonore d’Apocalypse Now, est, d’ailleurs, venu participer pour la version de 2019. Il a alors travaillé à partir des masters sons originaux trouvés dans une poubelle et produit une version sonore étoffée mais surtout oppressante.

Regarder Apocalypse Now, c’est aussi l’écouter. Un concert de tonnerres, de bruits de jungle et d’animaux nous embarque dans ce bourbier tropical, la musique des Doors et la bande originale psychédélique nous font planer, le mythique passage de la musique de Wagner mariée aux bruits des bombes et des tirs déclenchent en nous quelques frissons.

Le Final Cut

Il y a des choses qui ne changent pas entre les versions, comme le jeu juste époustouflant mené par des monstres même dans les rôles secondaires, tels que le très jeune Laurence Fishburne en soldat immature, ou Robert Duvall et son iconique Lieutenant Bill Kilgore qui « aime l’odeur du napalm au petit matin ».

Coppola a déclaré que ce montage inédit était la meilleure version d’Apocalypse Now qui existe. Il est vrai que la « meilleure version » dépend de celui qui la regarde : certains resteront à jamais fidèles à l’originale de 79, d’autres préfèreront Redux (2001) qu’ils jugent plus complète. D’une durée de 3h02 qui coupe la poire en deux entre la première (2h33) et la seconde (3h30), Final Cut se débarrasse cependant de certaines longueurs sans s’amputer de scènes devenues mythiques telle que la séquence dans la plantation française et d’autres scénettes que je vous laisserais (re)découvrir.

Cette version a également le mérite d’être celle qui est la plus proche de ce que le réalisateur veut dans un univers hollywoodien où le final cut appartient souvent aux producteurs et aux studios. 

Quand le film se termine, il n’y a aucun titre au générique. Si l’on fait attention, dans le décor de fin on aperçoit un graffiti : Apocalypse Now. Les lumières se rallument et les gens restent assis un bon moment plutôt que de se lever directement, comme s’ils étaient surpris de découvrir qu’ils sont assis sur leurs fauteuils dans une salle de projection et non pas sur le fleuve en pleine guerre.