La représentation de la guerre à l’écran n’est jamais chose facile. Le souci de véracité (historique ou narrative), les choix de scénario ou de montage sont autant de caractéristiques qui classent l’oeuvre du côté de la contestation, du documentaire voire de la propagande.
La guerre du Vietnam, en particulier, fut (et est toujours) largement contée au cinéma. Le conflit reste encore, en effet, une large cicatrice sur la joue de l’Oncle Sam.
C’est ainsi en mars 1987, seulement 10 ans après la fin des combats, que le réalisateur Oliver Stone présente sa vision du conflit avec Platoon. Il s’agit là du film qui le projettera sur le devant de la scène, notamment en raison de la controverse qu’il créera.
Oliver Stone (JFK, Snowden…), qui se spécialisera par la suite sur le film de combat (sur le terrain ou politique), est avant tout un vétéran de la Guerre du Vietnam au sein de laquelle il s’est engagé volontairement. Platoon s’inspire donc directement de son expérience au front comme une sorte de catharsis.
Petit point synopsis as usual : En septembre 1967, Chris Taylor, dix neuf ans, rejoint la compagnie Bravo du 25e régiment d’infanterie près de la frontière cambodgienne. Chris, issu d’une famille bourgeoise, s’est engagé volontairement. Mais la réalité est tout autre et ses idéaux vont voler en éclats.
Platoon c’est le premier volet d’une trilogie que construira Stone autour de la Guerre du Vietnam (avec Né un 4 juillet et Entre ciel et terre) Ses lead roles sont tenues par un jeune Charlie Sheen, William Dafoe et est l’une des premières apparitions à l’écran d’un certain Johnny Depp. Le film remporta également plusieurs Oscars en 1986 (dont meilleur film et meilleur réalisateur)
A l’état naturel
Le conflit, finalement, est assez naturel. C’est par notre expérience et nos lois (Coucou Rousseau et le Pacte Social) que nous avons crée le concept d’Humanité pour nous éloigner de celui de l’Animal. La jungle de la modernité occidentale ce sont les grattes ciels et les jardins clôturés. La guerre, cependant, répond à ses instincts les plus primitifs.
A l’écran, dans Platoon la jungle, comme un Etat naturel, est présente au premier plan. Elle devient presque personnage à part entière voire ennemi tentaculaire. Dès son arrivée, Chris en fait les frais. Des fourmis venimeuses s’immiscent sous ses vêtements et des sangsues s’accrochent à ses joues. Les éléments le mettent également à mal et il fait un malaise peu après le début de sa première mission.
Ce qui tue le plus d’hommes, toutefois, c’est l’homme lui même. Poussé par son instinct de survie, il revient à la bestiale loi du Talion par la vengeance aveugle de ses semblables GIs ou Vietcongs. Une escalade de la violence provoquée et expliquée par le très simple “c’est la guerre” ou autrement dit, tue ou c’est toi qui sera tué.
Les factions américaines portent également à demi mot le germe des conflits qui séparent ses hommes. Un exemple criant en est l’étonnement des amis de Charlie lorsqu’ils lui demandent pourquoi il est sur le front malgré son air éduqué. On envoie pas les riches au casse pipe déclarent ils. L’un des soldats ajoutera plus tard également qu’on veut toujours “faire tomber le noir au plus bas de l’échelle”.
Light and Dark
Le coeur de Platoon s’apparente alors plus à une guerre entre la Bête et l’Humanité. Ce combat est illustré par la guerre civile au sein même de la faction. Les Sergent Barnes et Elias représentent alors chacun l’un des camps qui s’affrontent en chacun des soldats. Elle est également la représentation type de la formation de groupes autour d’un leader fort et charismatique qui fait alors office de gourou. Un petit big up de Stone à la Maison Blanche ?
Là où Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979), le superbe, s’intéresse à l’individualité, Platoon se penche plutôt sur les relations sociales, la collectivité et leurs impacts. Les GIs sont, en effet, traqué, perdu dans un environnement qui leur est hostile et doivent défendre leur vie pour une guerre à laquelle ils ne croient plus. Une situation extrême qui appelle chez certains un retour aux instincts primitifs de l’animal quand certains prennent la décision de rester dans les codes et tabous de l’humanité. L’attaque du village de civils est alors la cristallisation de ce conflit intérieur dans sa dimension individuelle ou collective.
Oliver Stone ou l’Amérique racontée
Si Oliver Stone est aujourd’hui un habitué de la critique frontale envers le gouvernement US, à l’époque Platoon fit pas mal de bruit. Si il fut quelque peu éclipsé par Apocalypse now, il n’en est pas moins une oeuvre de tout premier ordre. Là où le premier montrait comment l’armée venait à se nécroser par des soldats en quête de sens (qu’ils ne retrouvaient plus dans la bataille), le second choisit de montrer le point de vue d’un simple soldat volontaire qui se trouve confronté à une horreur qu’il ne comprend pas. Platoon c’est alors un témoignage sous forme de fiction aux accents autobiographiques comme peut l’être Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008). On ne voit pas l’envergure de la guerre comme dans Apocalypse Now, on est au coeur du conflit tel que le voyait un simple soldat sans autres contacts avec l’extérieur et la hiérarchie que ses officiers. C’est ainsi le visage de la guerre dans toute sa vérité qui explose à l’écran.
La scène finale termine d’installer Platoon dans une contestation qui prend alors la forme d’une mise en garde. Le discours de Chris, blessé nous l’affirme. Une image, cependant, est encore plus parlante : la vue depuis son hélico de secours composée d’un charnier aux dimensions extraordinaires dans lequel sont rassemblés par des GIs mal en point les corps des Vietcongs éparpillés un peu partout sur le front.
Platoon c’est une autre vision de la guerre et de l’Amérique. Le film fit largement polémique à sa sortie et son réalisateur reçut nombre de menaces de mort. Il est également à noter qu’il fut interdit au Vietnam en raison de la description qui était faite de son peuple. Stone nous place dans la peau d’un soldat sur le terrain pour un témoignage immersif au discours philosophique. Le choix de sortir ce film quelques années seulement après la fin du conflit lui permet alors d’appliquer ses propres commandements. “Ceux qui ont survécu ont le devoir de reconstruire et d’enseigner ce que nous savons”, déclare Chris à bord de l’hélico infirmier.
Oliver Stone n’aura alors de cesse d’apporter critique et contre vision de l’Amérique afin que plus jamais une guerre aussi insensée n’ai lieu.
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