Coloniser l’espace. Installer des communautés aux confins de notre galaxie et des autres. Ces objectifs sont plus que jamais d’actualité. L’état de notre planète, en effet, pousse l’humanité à s’intéresser plus près que jamais à la conquête spatiale. Les gouvernements comme l’Inde et sa sonde Chandrayaan-2 ou encore l’agence privée détenue par Elon Musk, Space X, avec son rêve martien lancent des projets de plus en plus ambitieux. Il ne s’agit plus uniquement aujourd’hui d’exploration mais bien de colonisation. Si l’homme s’est toujours demandé ce qu’il y avait au delà, l’empressement autour de la question semble désormais tenir de la survie. Elle cristallise néanmoins de nombreux enjeux géo-politiques terrestres comme au temps des premiers pas sur la Lune il y a tout juste 50 ans en pleine Guerre Froide. 

Ces questions bien terre à terre se retrouvent alors pour le grand public dans un regain d’intérêt pour le film de science fiction et plus précisément encore le film spatial. Gravity (A.Cuaron 2013), Prométhéus (R.Scott, 2012) ou encore Star Trek: Sans limites (J.Lin, 2016) participe de ce retour en force. Le Interstellar (2014) de Christopher Nolan, cependant, illustre à la perfection ces angoisses écologiques. 

Petit point scénario :  Dans un futur proche, la Terre est de moins en moins accueillante pour l’humanité qui connaît une grave crise alimentaire. Le film raconte les aventures d’un groupe d’explorateurs qui utilise une faille récemment découverte dans l’espace-temps afin de repousser les limites humaines et partir à la conquête des distances astronomiques dans un voyage interstellaire.

Film événement à sa sortie, il réunit à l’écran Matt Damon, Anne Hathaway, Matthew McConaughey et Michael Caine pour ne citer qu’eux. Nolan a-t-il ainsi réussi son pari de voyage Interstellar

La patte Nolan 

Si le film est apparaît sur nos écrans en 2014, le projet commence en 2006 sous l’égide Steven “Grand Manitou” Spielberg. Des différences ont donc été apportées au scénario d’origine par le frère même de Nolan (lequel est scénariste et collabore de manière régulière en famille) pour coller à son univers propre. Le réalisateur d’Inception apporte alors une grande dimension reflexive au film ce qui n’est pas pour nous déplaire. 

Christopher, comme à son habitude, ne nous propose pas une pièce que l’on peut ingérer simplement en la visionnant d’un trait. Un Nolan ça se digère. Si l’action suit une mise en scène rigoureuse et que l’on peut aisément séparer en différentes parties (ou actes), le rythme semble toutefois un peu sens dessus dessous. Mais, après tout, cette mise en forme fait aussi partie de sa marque de fabrique. Nolan aime en effet les scénarios alambiqués, ultra-construits et on peut dire que ses thématiques de prédilections s’y prêtent plutôt bien ! 

Le temps et l’espace temps, la mémoire ou encore les rêves sont autant de possibilités d’explorer le monde qui nous entoure d’une manière qui n’appartient qu’au cinéma (et l’art en général). La caméra complète ainsi le calcul scientifique et y apporte une vision plus libre dénuée des lois de la physique ou de la technologie.  On interroge donc l’imagination sur la base de faits scientifiques pour déboucher sur autant de théories qu’il y a de spectateurs. La chronologie semble ainsi bouleversée et même si l’action principale trouve une signification sur la fin, beaucoup d’éléments restent flous. 

Christopher, pour nous faire réfléchir (ou plutôt créer des embrouilles dans nos repas de famille), est passé maître dans le principe scénaristique du set up/ pay off ou fusil de Tchekov. Celui-ci réfère à l’homme de lettres russe et consiste à placer des éléments d’apparence anodine mais qui vont avoir un rôle par la suite (le fantôme de Murphy ou l’allusion au Plan B avant le départ en sont des exemples flagrants). Tout est donc extrêmement calculé et (cela va sans dire) extrêmement bien construit ! 

La bande originale de Hans Zimmer, cependant, si elle colle parfaitement à l’image a été composée sans qu’il n’ai vu le film ou lu le scénario. Cette musique industrielle très dramatique et chère à la filmographie de Nolan s’insère cependant à merveille avec ces images froides mais magnifiques à l’inspiration très 2001

Le rapport au scientifique 

Interstellar est basé sur les travaux de Kit Thorne, physicien spécialiste des trous noirs. Lequel a d’ailleurs assuré la vraisemblance de la modélisation de ces phénomènes gargantuesques. Les représentations spatiales ont d’ailleurs été mises en forme numériquement grâce aux calculs d’un mathématicien. Le scénario et ce malgré son illustre parenté ne déroge pas à sa nature, c’est à dire un scénario. Les trous de verre et autres trous noirs ont, certes, été repris dans de nombreuses oeuvres et recherches scientifiques, ils demeurent encore largement au stade de la théorie voire de la mythologie. 

L’univers et ses dynamiques restent encore un grand mystère. La caméra et autres modélisations permettent ainsi d’interroger le monde qui nous entoure sans limites scientifiques et d’imaginer les scénarios les plus fous (que, parfois, même la science n’effleure qu’à peine). 

Interstellar, comme beaucoup de films avant lui, tente ainsi de démêler voire d’expliquer l’inexplicable. Qu’elle soit basée sur des faits scientifiques ou de la fiction pure, la SF tente de comprendre l’univers et notre place dans celui ci.

Mais après tout, est ce que ce qui nous fascine tant n’est pas justement ce flou, cette zone d’ombre qui nous pousse à imaginer et à créer des technologies toujours plus sophistiquée. Est ce que, finalement, “certains mystères (ne) sont (ils) parfois fait (que) pour rester des mystères” (J.Cooper/M.McConaughey) ? 

Parabole écologique 

Interstellar est cependant et avant tout une belle parabole autour de l’écologie et de l’exploration spatiale, de ce qui fait de nous une espèce, l’amour tout ça tout ça. 

Le premier acte même semble ainsi nous crier : Attention ! Ceci pourrait être notre avenir !  

La Terre après nous avoir permis de nous (sur)développer pourrait en effet se retourner contre nous après toutes les tortures industrielles que nous lui avons fait subir. La Nature bienfaitrice se ferai crise alimentaire et tempête de poussière. Notre expansion technologique qui est aujourd’hui la base de nombre de sociétés serait alors stoppée par l’obligation pour beaucoup de devenir cultivateurs et tenter de nourrir une population moribonde. 

Une allusion politique se glisse alors au milieu de ce monde devenu chaotique: le principe du bien commun comme fil rouge sociétal. 

On n’a plus besoin d’ingénieurs aujourd’hui..”, c’est sur cette réplique que les professeurs décident qui poursuivra ses études ou non. La population se meurent comment peut on encourager des enfants à croire en leurs rêves égoïstes d’astronomes ?! Sauver l’humanité grâce à la recherche scientifique ? Foutaises ! D’ailleurs les manuels de physiques sont enfin corrigés. Les US ne sont jamais allés sur la Lune voyons ! Il s’agit d’une pure machination en contexte de Guerre Froide. Il faut être stupide pour l’avoir cru. Le confort des uns passe ainsi au service du “bien commun” ou, plutôt ici, le “bien de l’espèce humaine”. Un discours qui n’est pas sans rappeler les oeuvres d’Orwell 1984 et La Ferme des Animaux mais qui interroge notre nature d’animal grégaire. 

Interstellar s’inscrit donc parfaitement dans la filmographie de Christopher Nolan. Un scénario à l’architecture ciselée, des images impressionnantes et un bulldozer sonore en guise de bande son figurent son cocktail favori pour nous faire cogiter. Nolan, à l’image d’un certain Kubrick (avec tout de même plus d’indices) laisse une grande place à l’interprétation. Voyages interstellaires, vie extraterrestre voire expérience d’EMI, les théories les plus folles sont ouvertes par les fans qui, peut être n’y sont pas du tout… ou ont tapé dans le mille ? 

Pour aller plus loin (1h) :