Il y a quelques semaines s’offrait sur les planches de l’UBU (Rennes) l’effervescence de Mike Brandon et de ses acolytes, autrement appelés The Mystery Lights. L’occasion de revenir sur un groupe garage rock unique aux influences sans limites et aux allures de sales gosses n’ayant toutefois jamais cessé d’écouter la parole (d’ailleurs souvent survoltée) de leurs aînés.
RENCONTRE & HISTORIQUE
C’est en 2004, au lycée de la ville de Salinas en Californie que se rencontrent Mike Brandon et Alfonso Luis Solano, alors animés d’une passion commune pour le rock garage des années 60/70’s. Tous deux sont guitaristes dans des groupes de punk, et décident de créer ensemble The Mystery Lights. Probablement loin de se douter que ce nom les suivrai encore plus de 15 ans après.
Accompagnés de leurs amis Nick Pillot à la batterie et Joe Dellamora à la basse, ils forment une première base du groupe et répètent sans relâche dans un petit garage de réparations automobiles de Salinas. Les débuts sont difficiles ; le groupe connaît pendant près de 8 ans de nombreux changements de line-up et plusieurs périodes de pauses, peinant à se faire un nom sur la scène californienne. Ils décrochent quelques opportunités auprès de salles et radios locales, comme en témoigne ce live capté en 2010 dans une radio de Los Angeles mais sans grande envergure.
L’atmosphère au sein du groupe est souvent instable ; les instrumentistes vont et viennent autour du socle Brandon / Solano. Mais l’approche musicale globale restera néanmoins la même tant que ce dernier perdurera. Ils sortent en 2009 leur premier album auto-produit intitulé Teenage catgirls and the mystery lightshow , qui ne connait pas un franc succès, échouant à assurer au groupe un quelconque semblant de visibilité.
Lassé de la Californie, Brandon déménage alors en 2012 à New York, dans un petit appartement du Queens, à la recherche de plus de mouvement et d’opportunités. Il est rapidement suivi par Solano, Pillot et Alex Q. Amini, remplaçant de Dellamora à la basse. Pendant 3 ans, ils écument les circuits underground new-yorkais, attirant alors peu à peu les regards. S’ajoutent ensuite à la formation Kevin Harris aux claviers / orgue et Noah Kohll à la batterie après le départ de Pillot.
LABEL
En 2015, ils sont enfin repérés par la maison de disques soul new-yorkaise Daptone records (ayant notamment propulsé des artistes tels que Sharon Jones & the Dap Kings, The Olympians ou encore Charles Bradley), souhaitant faire de Mystery Lights la figure de proue de Wick records, branche rock du label créée la même année. En passionnés des sonorités et arrangements musicaux des années 50/60’s, les équipes de Daptone records mettent alors à disposition du groupe le studio « House of soul », véritable temple dédié à l’enregistrement analogique, permettant l’utilisation de matériel d’époque garanti sans ordinateur.
RÉFÉRENCES
Car ce qui fait l’une des plus grandes richesses de The Mystery Lights c’est avant tout leur approche musicale éclectique. Des classiques psychés à l’image de The Seeds, The Kinks, Velvet Underground, Them ou encore Country Joe and the Fish pour ne citer qu’eux. Jusqu’aux plus inhabituels acteurs de la scène punk tels que Dead Moon (reprise en concert de Dead moon night), The Screamers, Billy Childish, Richard Hell, The Fall, … en passant par quelques touches blues avec Blind Willie Mctell, jazz avec Sun Ra, ou même électroniques expérimentales avec Brian Eno, Kraftwerk, Neu!, etc. ; autant dire que le spectre des influences est très large.
Il ne fait, par ailleurs, aucun doute qu’ils aient chacun été également nourris au sein des plus grands précurseurs du mouvement psyché par les biais de compilations longuement ressassées, telles que Nuggets (1), Back from the grave (2), ou encore Uptight Tonight (3). Celles-ci étaient et restent encore aujourd’hui de véritables trésors de (re)découvertes de titres garage/psyché/punk rock de groupes des 60’s, à l’époque presque oubliés et considérés comme passés de mode, avant de devenir par la suite des classiques du genre. Elles sont devenues sources d’inspirations pour les générations de musiciens à venir, dont The Mystery Lights fait évidemment partie.
- Original Artyfacts from the First Psychedelic Era, 1965-1968, composée par Lenny Kaye – guitariste du Patti Smith Group – double album de 27 chansons
- Tim Warren – 1983/1992 – Crypt Records – 10 volumes
- The ultimate 1960s garage punk primer – Big Beat Records – 2005 – 26 titres
2016 – 1er ALBUM
Le premier album produit chez Daptone, enregistré à Bushwick en seulement une semaine et sobrement appelé The Mystery Lights sort en 2016. Il témoigne d’une énergie viscérale et passionnée parfaitement maîtrisée, ayant mis près de 10 années à pouvoir être exprimée à un plus large public.
Les sonorités enregistrées en tout analogique confèrent à cet album une dimension nostalgique avec toutefois une identité propre, comme il en ressort aujourd’hui peu presque 50 ans après l’âge d’or du rock garage et du rock progressif. L’intention ne se cantonne pas à un simple hommage sans recherche musicale. En mélomanes aguerris et passionnés curieux, chaque membre du groupe apporte sa touche personnelle. Blues, jazz, punk, surf rock, country, soul, … ; tout style a du bon à prendre, que ce soit en grandes ou petites proportions. Loin de se revendiquer groupe de rock psychédélique, et encore moins héritiers d’un flambeau à la flamme presque éteinte, The Mystery Lights refusent toute étiquette, si prestigieuse soit-elle, ajoutant à ce cocktail déjà savoureux une touche d’humilité et de sincérité peu communes.
2019 – 2ème ALBUM
Après trois ans de tournée mondiale (Etats-Unis, Asie, Australie, Europe) et de préparation d’un second album, le groupe revient en mai 2019 avec Too much tension, aux sonorités cette fois plus axées blues, surf rock et électroniques expérimentales, approfondissant davantage les influences toujours plus riches.
Trois années qui ne semblent pas avoir été de tout repos, à en juger par le titre choisi pour ce second album, les sujets traités dans les textes et les quelques changements de membres. Noah Kohll cède sa place à Zach Butler à la batterie, quant à Kevin Harris, il laisse sa place à Lily Rogers pour la partie claviers / orgue. Un mal pour un bien selon les déclarations de Mike Brandon en interview, jugeant que le groupe dans sa composition actuelle a enfin trouvé un juste équilibre.
L’entente globale au sein de cette quintette frénétique semble aujourd’hui idéale et ça se ressent. Plus particulièrement en concert où ils offrent volontiers au public tout ce qu’ils peuvent offrir. The Mystery Lights est de ces groupes qui aiment à révéler aux regards un spectacle instinctif sans prise de tête aux enchaînements bien maîtrisés, véritable célébration de la musique d’une manière générale. Bien que de ces cinq lumières mystérieuses, Mike Brandon, en « co-leader historique », semble briller plus que les autres, c’est sans pour autant faire de l’ombre au reste du collectif. Le style, dans sa forme parfois volontairement perdu et bâclé, favorise toujours le sens musical. Sur scène ils s’amusent, boivent, se marchent dessus, intervertissent les rôles, slamment, tentent de nouvelles choses, réussissent ou échouent mais qu’importe. Mike Brandon avait prévenu, déclarant avec cynisme à son public au moment où les esprits commençaient à s’échauffer : Apologize for our unprofessionalism !
Écrivant patiemment leur histoire depuis plus de 15 ans et ayant à mes yeux réalisé jusqu’ici un sans-faute, que ce soit musicalement ou humainement, The Mystery Lights trouvent leur place haut perchée dans la courte liste des groupes de rock garage actuels qui valent le détour. Il est indéniable qu’ils maîtrisent à ce jour tous les codes musicaux de leurs influences, s’élevant même à leur niveau pour le plus grand plaisir d’un public adepte bien qu’encore très restreint. Souhaitons-le, The Mystery Lights gagneront prochainement leur reconnaissance amplement méritée.