Vous connaissez la tour de Babel ? Les tables de la Loi, les textes fondateurs, tout ça, tout ça ? Certains films sont un peu l’équivalent dans le monde enchanté de la cinéphilie. La saga Matrix, c’est justement l’une de ces pierres angulaires. Arrivée à point nommé, aux prémices de la nouvelle méga connectivité technique, Matrix, plus qu’un film, c’est un tournant, un changement de paradigme et la cristallisation en 2h et 16 min des inquiétudes d’une époque. Le mois prochain sortira le nouvel opus, 18 ans après le troisième volet Matrix: Révolution. Qu’est ce qui rend cette saga si culte et pourquoi on est si excité ? Petit aperçu hors de la matrice…
Une thématique dans l’air du temps
Il faut surtout replacer la série dans son contexte. Le premier opus sort en 1999. C’est alors le gros boum d’internet et de la technologie personnelle à grande échelle. Les vrais ont connu les jeux sur disquette ou CD-Roms et les heures passées sur l’ordinateur de la maison à jouer sur Adibou ou Aladdin. Une culture internet commence à émerger ainsi que les opportunités que peuvent générer une telle poule aux œufs d’or.
A ses débuts, toutefois, la technologie fait aussi peur et est alors source de nombreux fantasmes (comme toute innovation, Galilée à jamais dans coeur). Les scientifiques tâtonnent encore un peu et le grand public ne comprend pas bien. Émerge ainsi la figure du hacker, souvent (très) jeune, dangereux et qui peut renverser des nations entières d’un seul clic. On a ici le symbole de la liberté des Modernes contre les Anciens mais surtout de l’individu qui devient enfin maître au-dessus du collectif. On en vient alors à craindre ces individus à visages cachés et qui, parfois, s’organisent en réseau de “paria” du monde moderne, devenu héros du post-moderne.
Néo et ses petits copains tout de cuir vêtus sont l’incarnation de cette double attente autour des nouvelles technologies. Elles permettent de créer tout une illusion, si forte qu’elle en paraît réelle. De là, de multiples opportunités sont désormais à portée de rêve. Mais elles sont aussi sujettes à des utilisations plus néfastes (on se rappelle tous d’Einstein et de la bombe atomique). Néo se présente ainsi non seulement comme le “paria” qui décide de sortir d’un système social qui ne lui convient pas mais aussi le militant, l’individu seul face au pouvoir du collectif.
De multiples interprétations
Le pouvoir de la saga Matrix réside avant tout, outre dans une rétro nostalgie toute millénial, dans une très grande plasticité d’interprétation.
Certains ont comparé l’odyssée de Néo à la transition des, désormais, sœurs Wachowski ? Lilly dira elle-même que c’est une lecture intéressante qui montre que l’interprétation n’est pas figée.
Si la saga s’intègre dans un contexte bien précis, sa force réside donc dans la plasticité et l’universalité de son discours. On pense d’abord, bien évidemment à une lecture de type 1984 post-moderne. Ses influences sont cependant si multiples que le discours peut être intégré dans un très grand nombre de discours. On peut citer, par exemple, le thème de la religion et notamment, le fait d’être dans un monde que nous ne maîtrisons pas ou encore le principe de l’éveil qui ferait atteindre la libération par la vérité suite à une série d’épreuves qui n’est pas sans rappeler le veda hindouiste.
Vingt ans plus tard, maintenant que l’entrepreneur et ses stratégies disruptives du hardware de l’hyperespace sont désormais des superstars mais que Tiktoks et la culture du même tendent à rendre au collectif ce qui lui appartient, la curiosité autour de ce nouvel opus est au level maximum.
La science-fiction a le vent en poupe en ce début de décennie. Alita, Blade runner 2049, Ready player one ou encore Ghost in the shell ont ameuté les foules. Plus encore que la SF, c’est l’un de ses sous-genres qui est plébiscité par le public, le cyberpunk. A la lumière des néons colorés, l’esthétique et les problématiques du cyberpunk sont plus populaires que jamais…
Repères historiques
Il n’y a pas véritablement d’œuvres qui ferait foi comme étant la naissance du cyberpunk. La naissance du Jésus Christ de métal est régulièrement datée par la sortie du roman Neuromancien de William Gibson.
Si celui-ci pose, en effet les bases de ce que sera le cyberpunk, il s’agit plutôt d’un savant mélange d’influences. Le XIXe siècle, notamment, fera beaucoup pour la création d’une esthétique mêlant technique, organique et questionnements existentiels. Jules Verne ou H.G Wells ont autant inspiré le steampunk qui se concentre plutôt sur la figure de l’inventeur que le cyberpunk, qui s’intéresse plutôt au point de vue de la machine. Là où l’homme est plutôt démiurge dans le premier, le second se penche à bras le corps dans une dystopie aliénante dans laquelle la machine domine et l’humanité se floûte.
Le cyberpunk est d’abord profondément ancré dans la littérature donc et cela va continuer jusqu’à notre époque avec l’oeuvre du génial Philip K.Dick ou encore le Akira de Katsuhiro Ôtomo.
Akira, Katsuhiro Ôtomo (1991)
L’avènement de la technologie quotidienne (télévision, premiers ordinateurs …) et l’entrée des machines au sein même des foyers fait des années 1980’s, LE siècle de la naissance du cyberpunk moderne. Les années 1990’s vont alors affiner le tableau qui va alors se parer de superbes gemmes comme Ghost in the Shell de Masamune Shirow (1991) ou le Matrix des soeurs Wachowski (1999). Si il est un peu oublié dans les années 2000’s et relégué dans la panoplie de tout bon geek, le milieu des années 2010 vont le voir retrouver la lumière avec la série Mr Robot et de nombreux remake/ suites d’œuvres qui ont fait leurs preuves. L’originalité et le renouveau du genre, quant à elle, est toujours assez vivace au sein du cinéma underground.
Un genre résolument moderne mais surtout universel
Blade Runner, Ridley Scott, 1982
Que serait un film cyberpunk sans une bonne remise en question existentielle ? Souvent étiqueté “film de geek”, le genre est indissociable d’une certaine exploration philosophique. Le sang et la violence trouve, en effet, un sens qui n’est jamais vraiment laissé au hasard. Le thème du transhumanisme, bien évidemment, de la simulation et des mondes virtuels sont tout à fait en accord avec les réflexions d’une société qui se technicise de plus en plus. Quelque chose protège cependant des classiques comme Blade Runner (Ridley Scott) du vieillissement. L’universalité des questionnements abordés permet, en effet, d’en faire un genre aussi moderne que l’est un Socrate.
A travers le conflit homme/ machine, androïde et autres mondes parallèles, c’est le regard de l’autre et la notion d’altérité qui sont soulevés. Les autres thématiques abordées telles que le corporatisme ou même encore le mélange sexe et violence sont également soumis à la réflexion du public et amène un débat beaucoup plus profond que ne laisse paraître les giclées de sang et de néons.
Esthètes et têtes coupées
Sans surprise, le cyberpunk emprunte beaucoup, dans sa réflexion et dans son esthétique, au …. punk. Vous ne l’aviez pas vu venir hein ? Il y a-t-il besoin de préciser ce point ? L’absence de futur envisagé, le rejet du système en place, la constitution de bande suffisent à définir la filiation. La piraterie et surtout la figure du pirate 2.0 fait également partie du décor.
Le cyberpunk fait régulièrement la part belle au plan travaillés voire même ciselés. A contrario, ces pépites visuelles sont souvent contrebalancées par des séquences plus sauvages et aux images quelques peu dérangeantes. Le métal de la machine se lie ainsi à l’organique sans fard et le visuel explicite le discours.
Le Japon, enfin, est un haut lieu du cyberpunk, si ce n’est sa Mecque. Hors et à l’écran, le pays du Soleil Levant est un véritable checkpoint pour le genre. L’esthétique, d’abord, ne peut pas ne pas évoquer les grandes villes nippones avec les rues bondés et noires de mondes éclairées par de grands panneaux lumineux ou encore plus récemment les androïdes directement inspirés de geisha. Le Japon est surtout le producteurs d’oeuvres devenues des classiques du genre et notamment grâce à la plasticité de son dessin. Citons, par exemple, le film d’animation Ghost in the shell ou le manga Akira. Le Japon connaît, par ailleurs, un âge d’or au sein de la pop culture, notamment grâce aux jeux vidéos, au cours des années 1980-1990’s à peu près en même temps, donc, que le cyberpunk.
Ghost in the Shell, Rupert Sanders, 2017
Le cyberpunk, comme la science-fiction en général, connaît un retour en grâce dans les milieux mainstream depuis environ une petite décennie. La sortie du quatrième opus de la saga Matrix, Matrix Résurrection, ne peut que réjouir les fans du genre. Il est, cependant, à déplorer que les gros succès du box office ne concernent encore qu’en grande partie des remake et des licences réchauffées où l’on ne montre les progrès qu’uniquement en termes de technique et de VFX. A quand un véritable renouveau du genre ?
Comment faire exister le fantôme au cinéma, art de la monstration ? Figure de l’irréel et de l’illusion, le revenant a gagné ses lettres de noblesse par la littérature. L’écriture suggère et appelle l’imagination. Comment la caméra peut-elle alors rivaliser et faire frissonner son public ? Petit aperçu …
Une apparition
La caméra montre. Encore faut-il choisir ce qu’elle montre. Et c’est là qu’entre en jeu la créativité de l’équipe. Le fantôme peut ainsi avoir très simplement un corps matériel. Il est possible alors de jouer avec ledit corps. Le montrer ? Si oui, quand ? Et surtout comment ?
Kwaïdan, Masaki Kobayashi, 1964
Ce corps peut être montré partiellement: des yeux par-ci, une main par là. Ceci dans l’objectif de faire monter la pression avant la révélation finale ou non si il est décidé de ne pas dévoiler l’entièreté du revenant.
Apparences, Robert Zemeckis, 2000
L’environnement est alors un immense terrain de jeu. L’eau et les miroirs ou toute surface réflexive, par exemple, permet de lancer un jeu de chat et de la souris avec le regard.
La nuit ou tout simplement l’obscurité également peut faire l’objet d’une multitude de situations de monstration partielle ou complète.
L’art de la suggestion
L’enfant du Diable, Peter Medak 1980
Utiliser l’environnement est donc une véritable mine d’or. On croit apercevoir quelque chose, puis non. Le doute s’installe. Etait-ce une ombre ? Le décor mais aussi les accessoires peuvent ainsi servir la tension dramatique voire complètement incarner le revenant. Une photo ou un portrait installé bien en vue peut ainsi devenir la cristallisation de ce fantôme qui hante le film. Un jouet d’enfant ou n’importe quel objet peut alors devenir le porteur de suspens.
Le point de vue est également extrêmement important lorsque l’on s’attaque à la suggestion d’un tel concept. Le passage du jour à l’obscurité peut ainsi installer une ambiance propice à l’apparition fantastique. Le sommeil surtout peut permettre de dessiner une frontière entre le visible et l’invisible, entre la réalité et l’imaginaire et surtout amener le regard à douter de ce qu’il a bien pu voir.
La folie d’un personnage, d’ailleurs, peut aussi servir ce but notamment lorsqu’il s’agit d’une narration à la première personne.
Le point de vue peut également être déplacé et prendre le regard même du fantôme. On voit ainsi ce que le fantôme voit et parfois, on ne voit donc pas le fantôme lui-même.
On ne peut pas parler de la science au cinéma sans évoquer la filmographie de Christopher Nolan. Qu’on trouve ses films pompeux ou géniaux, le réalisateur ne laisse personne indifférent. Son approche de la narration, du visuel et du cinéma tout court mériterait une masterclass pour chacun de ces sujets mais essayons tout de même de déblayer ce qui est sans nul doute l’un des phénomènes de science-fiction de ces dernières décennies.
Motif et temporalité
Inception, 2010
A moins de vivre dans une grotte, vous avez déjà vu au moins une fois Interstellar et Inception. Des films plutôt complexes à aborder pour le grand public mais qui pourtant ont eu une très belle carrière en salle et par la suite.
Ce n’est un secret pour personne Christopher Nolan (Chris quoi) est fasciné par le temps. Cette thématique imprègne ainsi toute l’œuvre du réalisateur britannique. Qu’il s’agisse de l’un des questionnements principaux du film comme dans Interstellar (2014), la narration non linéaire ou même la musique, tout est matière à s’interroger et surtout à jouer avec le temps.
Les motifs deviennent alors des points de repères essentiels dans la compréhension de l’histoire. Des motifs on en retrouve énormément dans chacune des œuvres de Nolan. A savoir donc qu’un motif au cinéma est un élément visuel ou auditif récurrent qui permet de renforcer la thématique, l’action de manière subtile et le plus souvent métaphorique. Nolan ajoute ainsi divers couches de lecture par l’ajout de détails plus ou moins visibles, de répliques qui se répondent…
Inception, 2010
Les origines
Par la construction extrêmement cadrée de ses films, Nolan est en quelque sorte un mathématicien du cinéma.
L’écriture de ses scripts sont ainsi très codifiés. Le réalisateur explique d’ailleurs que sa méthode de travail est principalement construite autour de l’utilisation des diagrammes et autres graphiques. L’homme pense au film comme un puzzle et assemble les pièces comme il le ferait d’un algorithme. L’une des inspirations principales de Nolan est d’ailleurs la gamme de shepard. Il s’agit d’une illusion auditive qui donne l’impression de continuellement monter sans jamais s’arrêter (un peu comme un avion qui n’en finirait pas de décoller). Certains la surnomme d’ailleurs “le son infini”. Une illusion forte et immersive basée sur des faits bien scientifiques et terre à terre qui définit, en effet, très bien le cinéma de Christopher Nolan.
Du côté des scientifiques, le discours est plutôt mitigé. Les concepts auxquels Christopher Nolan s’intéresse sont encore mystérieux sur bien des points même pour la science et en cela, le cinéma permet de jouer le rôle d’un laboratoire géant libéré des lois de la Nature où tout est possible. S’il se renseigne et travaille en collaboration avec des spécialistes, les propositions de Nolan restent sur bien des points de la fiction. N’oublions pas que bien que extrêmement renseignés et construits, les films de Nolan restent des films. Un point sur lequel pourtant la majorité s’accorde : le cinéma de Nolan a permis de redonner un coup de jeune à la science !
La science refait surface dans les catégories mainstream ! Et ça c’est cool ! Un peu boudée pendant quelques décennies et reléguée aux “petits geeks du lycée”, le monde scientifique revient donc. Science et cinéma, c’est un peu un match made in heaven. Ne serait-ce que parce que sans science pas de cinéma. Le cinéma reste, de plus, le plus grand laboratoire du monde. Petit tour d’horizon…
A l’écran : De la théorie et de l’inspiration
Le cinéma c’est le royaume de l’imagination, tout devient possible du moment que l’on est un peu créatif. Les choses les plus incroyables peuvent prendre vie à l’image des dinosaures ressuscités ou des rencontres pour le moins originales entre humanité et vie extraterrestre.
1. Men in Black, Barry Sonnenfeld, 1997/ 2. Mars Attack !, Tim Burton, 1996
Puisqu’il s’agit du domaine de la fiction, les règles de la physique ou de la biologie n’ont pas voix au chapitre. Les artistes peuvent alors s’en donner à coeur joie et parfois même… inspirer les scientifiques qui, eux, se heurtent à ces lois de la nature.
Les théories et rêves qui peuplent l’imagination d’une population et d’une époque sont d’ailleurs souvent la photographie des changements, des peurs et des espoirs de ladite époque. Les récits d’anticipation, par exemple, traduisent les grands questionnements au temps des grandes explorations, de l’ère industrielle et de ses nouvelles opportunités et, plus récemment, du monde virtuel.
Les voyages sur la lune, sous la mer, sur mars ou dans le temps sont ainsi des classiques bien connus des amateurs de science-fiction. Chaque nouvelle aventure apporte ainsi son lot de théories mais aussi de projections tant dans le temps que dans l’esprit collectif.
Ghost in the Shell, Mamoru Oshii, 1997
Le cinéma de science fait aujourd’hui la part belle aux concepts de l’IA et de la robotique. Les interactions entre les mondes matériels et virtuels se font, en effet, de plus en plus nombreuses et la frontière de plus en plus floue.
Il s’ajoute à cela que le cinéma reste également l’un des outils de pédagogie les plus puissants. Là où le livre explique, le cinéma le montre. Il n’y a qu’à voir l’usage de propagande qu’il en fut fait en temps de guerre. Ainsi des films scientifiques ont fleuri tout au long de l’histoire du cinémascope avec notamment la traumatisante Séparation des sœurs siamoises Radika et Dodika par le docteur Doyen ou les très beaux films chronophotographiques de Etienne-Jules Marey.
Série chronophotographique d’un pélican, Jules Marey, circa 1882
Derrière la caméra : un médium expérimental
C’est son côté monstratif qui fait alors du cinéma, LE lieu d’expérimentation parfait. Devant la caméra mais aussi derrière le cinémascope est définitivement le plus grand laboratoire du monde.
source : Upopi.fr
Son histoire et son concept, tout d’abord se rattachent immanquablement au fait scientifique. Il suffit de voir ses ancêtres pour s’en persuader.
Les grands principes de l’optique et de l’enregistrement de celui-ci président ainsi à sa naissance et participent toujours de sa croissance.
Aujourd’hui encore, le cinéma se renouvelle à vitesse grand V grâce à la digitalisation et toutes les possibilités qu’elle ouvre. Les studios Pixar et les progrès en image de synthèse, Star Wars et la multitude de révolutions techniques, la quête de la 3D et plus récemment la VR quelques unes de ces innovations qui secouent le cinéma mais aussi la science.
Au cinéma, art et technique, imagination et science s’entremêlent et se combinent. Ils participent ainsi pierre par pierre à la construction d’un monde futur par l’inspiration, la pédagogie et surtout la créativité.