En ce moment de confinement toutes les plus grandes institutions culturelles du monde nous proposent de découvrir certaines de leurs œuvres, de leurs créations de manière digitalisées. Et le National Theater du Royaume-Uni n’échappe pas à cela. Ils ont alors posté leur adaptation du célèbre roman de Mary Shelley : Frankenstein sur leur chaîne Youtube. Et tenez-vous bien, car le casting est plutôt exceptionnel avec Benedict Cumberbatch et Jonny Lee Miller ! Deux acteurs anglais qui ont notamment en commun d’avoir incarné sur le petit écran le plus fameux des détectives : Sherlock Holmes ! (Benedict Cumberbatch dans Sherlock, une série anglaise créée par Mark Gatiss et Steven Moffat et diffusée sur BBC One. Produite par Hartswood Films et BBC Wales pour la BBC et WGBH Boston – Jonny Lee Miller dans Elementary, une série américaine créée par Robert Doherty et diffusée sur le réseau CBS aux États-Unis, produite par CBS). Alors, que valent-ils sur les planches ?
Tout d’abord, la pièce mise en scène par Danny Boyle (Slumdog Millionnaire, Transpotting, 127 heures et aussi réalisateur du prochain James Bond) est disponible en deux versions. En effet, Benedict Cumberbatch et Jonny Lee Miller se sont prêtés au jeu d’interpréter chacun à tour de rôle la créature de Frankenstein et le docteur Victor Frankenstein. Ce qui permet d’apprécier les deux styles d’interprétation des comédiens et peut-être de choisir son préféré…
La mise en scène de cette adaptation est très dynamique déjà par le choix d’une scène ronde qui permet aux spectateurs de bien entrer dans la pièce et aux personnages d’être au plus près de ces derniers surtout qu’une passerelle traverse le public à certains moments. Et aussi, l’ajout par instant de rails qui permettent de faire bouger des éléments des décors. Le choix de ceux-ci oscille entre univers steampunk lorsqu’il s’agit de représenter l’univers des travailleurs, des usines, et de l’atelier du docteur en Ecosse. Et beaucoup plus classique pour représenter notamment la demeure du jeune docteur Frankenstein ; avec des couleurs pastel, des lignes droites rassurantes qui enferment les personnages de cette maison. Le contraste est alors frappant entre les deux univers. Ce ne sont pas des idées à proprement nouvelles mais elles sont très bien élaborées et présentées. Cette scénographie ne noie pas, en tout cas, le jeu des acteurs car elle sait rester sobre et efficace. Prenons pour preuve la première scène qui est la naissance de la créature, le comédien sortant alors d’une espèce de cocon, qui essaie tant bien que mal de comprendre ce qu’il se passe, où il est et comment faire bouger son corps afin de ne pas tomber… Cette scène dure alors vingt minutes et M. Cumberbatch ou M. Lee Miller se doivent d’être captivants et vrais afin d’attirer le spectateur et ne pas le perdre pendant cet instant douloureux et perturbant. Et je trouve qu’ils ont su l’être. Le spectateur suit avec émotions, les premiers pas, les premiers sons puis les premiers mots, premières phrases et même premiers raisonnements philosophiques et moraux de la créature tout en connaissant déjà son inexorable destinée ; quand en parallèle on assiste au triomphe de l’ego du docteur et à sa chute, de même, inévitable.
En quelques mots, cette adaptation est bien réalisée. Elle est moderne, neuve et pleine d’énergie. L’échange des rôles entre Cumberbatch et Miller nous fait évidemment nous poser la question : qui est alors le monstre ici ? Le casting des quelques personnages principaux est de qualité et il est aisé d’entrer dans l’histoire, même si la langue anglaise peut représenter une barrière. Mais le théâtre c’est souvent bien plus que des mots. Ce sont des personnages, des lieux, des représentations, des émotions, qui lorsqu’ils sont justes, permettent au spectateur d’être touché et de comprendre facilement la trame de la narration.
Alors cliquez sur le lien ci-dessous pour découvrir le trailer de la pièce et laissez-vous tenter par une nouvelle pièce du National Theater tous les jeudis ! De plus, à chaque pièce son contenu exclusif sur la chaîne Youtube du théâtre. Si vous êtes frustré.e de ne pas avoir pu voir Benedict, vous pourrez alors le retrouver dans différentes vidéos présentant l’oeuvre. Alors on clique et on reste curieux !
Couverture: Minority Report, Steven Spielberg (2002)
Une machine à apparence humaine et qui servirait nos intérêts est une idée aujourd’hui bien répandue. Tâches ingrates, impossibles à l’homme mais aussi espionnage ou prostitution, la liste de ses usages ne semble pas avoir de limite. Au delà du domaine pratique, c’est le rêve de “se rendre maître et possesseur de la Nature” qui se traduit là. La machine c’est un outil fabuleux et encore plus si elle possède l’apparence et les qualités humaines poussées dans leur extrême. C’est bien là que le bât blesse. La machine, plus forte, plus intelligente et plus belle est alors “sur” humaine. Tant qu’elle reste simple exécutante, tout va bien (pour son programmateur du moins). L’avancée des recherches en IA interroge cependant notre capacité à contrôler ce monde que nous avons créée. Le cinéma, miroir des époques et de nos peurs, n’est pas en reste quant à réfléchir autour de la question depuis bien longtemps.
Une ressemblance trompeuse
L’apparence de l’androïde est la première des problématiques. Elle nous ressemble à s’y méprendre. Très vite, on se laisse abuser. C’est d’ailleurs son intérêt premier dans une mission d’espionnage. On ne peut s’empêcher toutefois de ressentir une sorte de malaise, une sensation d’étrange. L’être en face de nous nous ressemble mais elle possède un “je ne sais quoi” qui la rend lointaine voire inaccessible. Elle nous ressemble donc mais elle n’est pas comme nous et c’est ce qui la rend si instinctivement dangereuse.
Programmée par un autre être humain, elle devient arme à l’image d’un Terminator. Elle est aussi sensible aux virus et aux failles de conception ou de défense de son système.
Plus la ressemblance est poussée et son système développé et plus c’est inquiétant. Lorsqu’elle atteint une très forte autonomie, c’est une toute autre menace. Cet individu est il réel ? Où est ce un programme voire un bug ?
Le cinéma par ses choix de cadrages, costumes … peut ainsi renforcer cette impression de malaise ou au contraire nous pousser dans une direction ou une autre (ne pas différencier les androïdes des humains ou les séparer totalement). La caméra interrogeant alors cette inquiétante étrangeté de l’androïde.
Xénophobie, racisme et autres joyeusetés de l’Autre
L’androïde est problématique quant à son apparence d’inquiétante étrangeté. C’est aussi notre rapport à l’autre et au différent qui est en action ici. Réflexe somme toute instinctif que nous aurions hérité de l’âge de pierre : l’Autre fait peur. On se méfie de celui que l’on ne connaît pas et dont les intentions ne nous semble pas claires. Plus important encore, on se méfie de ce que l’on ne comprend pas. Comment réagir en cas d’attaque ? Comment contrôler si ce n’est cet autre, au moins la situation ?
A l’écran, l’androïde est donc ségrégé, utilisé voire supprimé lorsqu’il devient trop intelligent, trop autonome ou trop … humain. Que penser de la chasse au réplicant de Blade Runner ? De l’évasion d’Ex Machina ? Les exemples ne manquent pas ainsi que les parallèles avec toute autre situation hors écran.
L’androïde c’est donc une question plus que d’actualité. L’émission de Jimmy Fallon, par exemple, présente les avancées en terme de robots dans le “Tonight Robotics” tous les ans depuis 2017 prouve d’avancées remarquables. Jimmy cependant ne peut s’empêcher de sursauter lorsque le robot Sophia lui tend la main. La machine dotée d’une IA toujours plus performante est plus que jamais au coeur des débats tant scientifiques que sociologiques. C’est surtout l’occasion pour le cinéma de science fiction de faire ce qu’il fait le mieux: imaginer, émettre des hypothèses et questionner. Celui ci permet alors d’interroger notre rapport à une technique toujours plus connectée, présente et performante. Il interroge également notre rapport à l’autre et ce, dans une situation, où pour une fois, l’Humanité ne semble pas en position de force.
Alors que le Japon révolutionne le monde de la robotique en créant un androïde réceptionniste dans un grand magasin, le monde se lance à la conquête d’un nouveau défi : celui de la création d’êtres humanoïdes.
En ce mois dédié aux androïdes, il nous était impossible de ne pas parler de la série phénomène Westworld.
La série se déroule dans un parc d’attraction futuriste où nous pouvons revivre différentes périodes de l’histoire du monde comme la conquête de l’Ouest aux Etats-Unis. Les visiteurs sont guidés par les hôtes qui ne sont autres que des androïdes. Chaque visiteur peut alors vivre son histoire à sa guise sans se préoccuper des conséquences. Les Hommes peuvent ainsi dévoiler leur vraie nature et laisser libre court à leurs pulsions les plus sauvages.
Mais tout ne va pas se passer comme prévu. En effet, suite à une mises à jour, les androïdes vont être victime de nombreux bugs qui provoquent des dysfonctionnements de comportement.
Extraits : Westworld, J. Nolan et L. Joy
Mais au delà de ce bug certains de ces androïdes vont se montrer plus complexes qu’il n’y paraît et les humains ne seront pas toujours ce qu’ils prétendent être. Ainsi certains égos auront du mal à mourir et laisser la place à la génération suivante.
La série met alors en lumière un fantasme aussi vieux que le monde lui-même, celui de la vie éternelle. Car à travers ses androïdes à l’apparence humaine, qui réagissent comme des humains avec leurs émotions (même si elle sont programmées), c’est le désir d’éternité qui est mis en avant. Notre peur de mourir. Cette étape inévitable à laquelle nous sommes préparés depuis notre naissance mais qui ne cessera jamais de nous effrayer.
Au delà de notre peur de mourir c’est aussi et surtout la peur d’être oublié qui est mis en avant. Je ne peux en dire d’avantages sans risquer d’en dévoiler trop sur l’intrigue de la série. Mais ici le besoin de créer des « vies » humanoïdes est une réponse à la peur de disparaître, d’être oublié ou tout simplement de ne pas avoir le temps de terminer certaines tâche avant l’heure fatidique.
Extrait: Westworld, J. Nolan et L. Joy
Il résulte d’un besoin de reproduction, car après tout cela fait parti de nos instincts primaires. L’Être Humain a besoin de se reproduire. Alors certes, ici la reproduction n’est pas naturelle et elle ne constitue pas en la naissance d’un enfant. Mais il s’agit bien de reproduction. La reproduction de notre être, d’une version de nous qui nous paraît la meilleure, qui nous mettrait la plus en valeur à un âge où nous l’étions.
La question de l’androïde est plus que d’actualité, les avancés sont incroyables et peuvent parfois effrayer. L’histoire nous l’a démontré: de grandes avancés technologiques impliquent de grands changements dans nos modes de vies. La période de l’industrialisation avec le remplacement des hommes par les machines à entraîné de nombreuses suppressions d’emplois, avant, une fois l’adaptation faite, de permettre la création de nouveaux métiers et donc de nouveaux emplois.
Les changements de grandes envergures sont toujours effrayants. À voir à l’avenir si les androïdes ne nous remplaceront pas définitivement dans tous les corps de métier et dans la vie également. Affaire à suivre …
La saison 3 est disponible depuis le 15 mars sur OCS :
L’androïde est un emblème de la science fiction. Un succès qui fut fulgurant dès ses débuts et le place, depuis les années 1990’s principalement, à égale position (voire devant) l’extraterrestre en terme d’occurrence. La peur ne vient plus d’ailleurs mais bien de nos laboratoires. Le développement de la robotique, des réseaux et surtout de l’intelligence artificielle rendent réelles les questions (et surtout les tensions) qui se rapportent à ces machines qui parlent. Parfois désincarnée, comme le vicieux HAL 9000 (2001, l’Odyssée de l’espace, Stanley Kubrick, 1968), la machine peut revêtir un corps et se fondre dans la masse humaine.
L’automate
L’automate est un dispositif reproduisant un ensemble d’actions en autonomie. Au début du siècle dernier, on se passionne pour ses nouvelles machines qui semblent presque magiques. L’idée d’une telle machine à forme humaine fait rapidement son petit bout de chemin chez les inventeurs mais aussi (bien évidemment) chez les auteurs.
Les “puces à l’air” (C3PO, Star Wars V, l’Empire Contre Attaque, 1980), l’automate est rarement très effrayant. Son apparence l’affirme dans son rôle de machine mono-tâche qu’il suffit de débrancher. Il remplit donc plutôt des missions subalternes comme garde du corps ou majordome. Fidèle, il n’abandonne jamais son “grand constructeur” et l’accompagne dans ses aventures.
La première apparition d’un tel robot est attribuée à Méliès dans son court métrage, Coppelia, la poupée animée (1900). Ce film est cependant aujourd’hui disparu. On retrouve l’automate dans The Master Mystery (Harry Grossman et Burton L. King, 1920) ou, plus récemment la saga Star Wars avec le courtois C3PO et Hugo Cabret (Martin Scorsese, 2011).
Le choix de faire jouer les robots par de véritables humains en chair et en os présente plusieurs avantages. C’est une solution moins coûteuse en moyens techniques et financiers. C’est également le moyen de lui faire revêtir une “inquiétante étrangeté”. La machine colle parfaitement au physique humain dans ses moindres expressions. On s’y tromperait.
La machine se fait alors espionne et révèle le danger qu’elle représente pour l’humanité.
1. Metropolis, Fritz Lang (1927), 2. Blade Runner, Ridley Scott (1982)
L’hybride
Montrer à l’écran une créature qui mélange caractéristiques humaines et technologiques peut s’avérer plus coûteuse en terme d’effets spéciaux. Elle est toutefois largement utilisée ces dernières décennies. L’avancée des techniques de créations numériques permet, en effet, une esthétique plus uniforme et surtout une plus grande liberté. Ce type d’apparition révèle également l’angoisse grandissante face à des machines de plus en plus perfectionnées. Proche du cyborg, elle est physiquement et “psychiquement” créée par l’homme et se fond avec lui. Ceci révèle le côté duel d’une telle technologie : si proche et pourtant si différente.
1. Terminator (1984,2019) 2. AI, Steven Spielberg (2001)
Celui qui peut changer de forme
L’animation (et les CGI) est toutefois la technique qui laisse le plus de liberté quant à la création d’une telle créature. Les dessins animés et surtout les mangas présentent ainsi des machines capables de devenir invisibles, de changer de visage ou encore de transformer certaines parties de leur corps. La machine est alors plus qu’humaine. Elle est plurielle et protéiforme. Elle est partout et peut se glisser dans les moindres recoins connectés.
Ghost in the shell, Mamoru Oshii (1995)
Chacune des formes que revêt l’androïde traduit donc une approche différente. De l’automate au répliquant, il cristallise les questionnements de l’humanité face à une technologie qui tend à la dépasser quant à se rendre “maître et possesseur de la Nature”.
L’homme mécanique est l’outil ultime. Une grande logique, une force titanesque et surtout une absence d’émotions en font, en effet, le serviteur idéal. Connu d’abord sous le terme générique “automate”, l’androïde est un robot “qui ressemble à l’homme”. “Andros” signifie, en effet, “homme” en grec et le suffixe “oïde”, “forme”. “Andréïde” est alors le terme unisexe et “Gynoïde” désigne plutôt un automate féminin. De là, dérive l’appellation plus générique de “droïde”, largement utilisée dans la SF.
Ces robots à forme humaine c’est donc l’incarnation du fantasme d’un humain amélioré. Ceux ci, contrairement aux cyborgs qui eux sont un mélange d’organique et de mécanique, sont entièrement technologique. Plus que de l’eugénisme, l’androïde c’est l’idée de se faire démiurge, dieu tout puissant, capable de créer la vie et de la reprendre.
L’androïde c’est aussi cependant la peur de l’humain face à la machine. C’est la cristallisation des inquiétudes de l’homme face à ses faiblesses confronté à une machine si évoluée qu’elle peut le surpasser. L’androïde est double: arme et ennemi, esclave et créature supérieure.
Ces êtres tout de métal conçu c’est donc l’analyse froide. Un androïde c’est une base de données organisée et non biaisée qui prend des décisions logiques basées sur la connaissance et un certain empirisme. Une telle chose n’est pas faite pour vivre mais pour bien pour exister et servir. Il arrive cependant qu’on lui offre des capacités qui tendent à se rapprocher de l’émotion. Cinéma, littérature mais aussi de récentes recherches ne manquent pas de creuser et retourner le sujet. Il s’agit, bien souvent, d’émotions peu “dangereuses” telle que l’attachement à un maître et la loyauté envers celui ci. On ne peut que citer ici le superbe Artificial Intelligence de Steven Spielberg (attention âmes facilement émues, vous en aurez pour votre pixel). Ceci peut amener parfois lesdit “maîtres” à en oublier même le caractère mécanique de l’androïde. Il arrive parfois également que le perfectionnement (ou une erreur de code) amène ces machines à développer une réflexion individuelle et surtout un instinct de survie digne des meilleurs moments du genre humain. L’intelligence logique et analytique de la machine rencontre l’intelligence émotionnelle réservée à l’organique. C’est là que démarre les débats de comptoirs. Qu’est ce qui fait le concept appelé si égoïstement “humanité” (en comparaison avec le “monstrueux”) ?
Toutes ces réflexions et noeuds à la tête amènent surtout un questionnement plus large : qu’est ce qui fait la vie finalement ?
Petite selection (non exhaustive) des classiques de la question. A (re)voir absolument !
Terminator, réalisateurs multiples, 1984 – 2019
AI: Artificial Intelligence, Steven Spielberg, 2001